11 mars 2007
La passion est une promesse d'éternité.
Mon père était un homme passionné, à sa façon, et il serait mort de honte s'il avait su qu'il serait un jour affublé d'un tel qualificatif par le cadet de ses enfants. Les hommes de sa génération n'auraient jamais voulu que ça se sache et il aurait perdu tout crédibilité autour du poêle dans le garage à André à Moïse, l'équivalent de l'époque dans mon village des rencontres politico-sociales des Tim Horton d'aujourd'hui.
C'est néanmoins l'héritage le plus précieux qu'il m'a laissé.
Les problèmes cardiaques de mon père avaient commencé quelques cinq ou six ans avant son décès. Il n'en parlait pas trop; en fait, je ne sais même pas s'il s'était abaissé à aller voir un médecin. Néanmoins, il avait de lui-même ralenti ses activités et s'était petit-à-petit départi de certains biens, les activités qui les accompagnaient prenant discrètement le bord du même coup. Ce fut d'abord le chalet dont il devait pelleter la toiture en hiver. Ensuite, sa " terre-à-bois " dont il ne pouvait plus rien tirer. Sa motoneige, pour éviter de rester pris quelque part. Son VTT, ce qui allait de soi quand la terre où il se promenait a été vendue. Il s'était construit un atelier pour bricoler mais dût se résigner à ne plus y retourner à cause des marches qu'il fallait monter pour y accéder.
Comme je vivais assez loin de chez mes parents, je téléphonais régulièrement le dimanche soir pour prendre des nouvelles. Inévitablement, c'est ma mère qui répondait. Le téléphone, c'est une affaire de femme, tout le monde sait ça. Inévitablement, ma mère me dressait un portrait des plus noirs de l'état de santé de mon père qui terminait toujours par "Ben vite, y pourra pu conduire son char. Ça va l'achever."
Pourtant, quand je réussissais à avoir mon père au bout du fil, il semblait toujours maintenir un moral de fer et quand une de ses activités disparaissait, il s'en recréait une autre plus à la mesure de ses forces pour la remplacer.
Par un bel avant-midi ensoleillé, j'étais allé les visiter. Il était curieux d'entrer chez nous et de retrouver à peu près toujours le même scénario : ma mère en train de brasser quelque chose devant l'évier et mon père se berçant dans le fauteuil devant la porte vitrée de la cuisine. Elle m'accueillait toujours comme si j'étais une brebis égarée qu'elle venait de retrouver et babillait à m'en donner le tournis, si bien que j'appréhendais toujours l'accueil même si je n'arrivais jamais à savoir exactement pourquoi j'en ressortais avec un vague sentiment de culpabilité. Ma mère était subtile comme ça.
Passé l'épreuve des bienvenues, je me dirigeai vers mon père qui n'avait plus l'énergie de sortir de son fauteuil pour faire quelque chose d'aussi inutile. D'autant plus que je pouvais bien plus facilement me rendre à lui. Ce jour-là, il m'a encore impressionné par son optimisme face à la vie en général et face à sa condition en particulier :
- Regarde-moi ça. Je me suis fait planter des fleurs autour du patio et des mangeoires pour les oiseaux. C'est pas croyable le nombre d'espèces d'oiseaux qui viennent manger et butiner les fleurs. Moi qui ai passé ma vie dans le bois, je pensais qu'il n'y avait que cinq ou six sortes d'oiseaux. J'ai jamais eu le temps de les regarder, faut croire. Ben là, j'ai le temps pis j'en ai compté au moins deux douzaines de sortes à date. C'est pas croyable!
- Ben oui, ben oui, enchaîna ma mère en rudoyant la vaisselle dans l'évier. Les fleurs pis les mangeoires, ça attire les oiseaux pis le patio est plein de marde!
Les oiseaux ou la marde? C'est à chacun d'entre nous de décider ce qu'on veut bien voir. Moi, j'ai choisi les oiseaux même si je regarde toujours, quand même, où je mets les pieds.
jeudi 22 mars 2007
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1 commentaire:
Je me suis rappele ton pere avec son rire optimiste et rigoleur. Aussi souvent que je m'en souvienne, je ne l'ai jamais vu de mauvaise humeur. Y'a personne comme ta mere pour pousser un commentaire aussi drole et pourtant vrai (pas besoin de creuser loin pour savoir d'ou vient ton grand sens de l'humour). J'ai toujours trouve que ces deux la formaient un joli petit couple. A chacune de leur visite chez mes parents, moi je laissais tout pour aller participer aux conversations car je savais que le fun allait commencer et que j'allais encore assister au spectacle de ta mere qui rit aux larmes en s'essuyant les lunettes... ils laissaient toujours une trainee de rires derriere eux avant de partir. J'entends encore ta mere lui dire: "Ben tu m'as jamais dis ca!" (sans doute se gardait-il de lui devoiler ses oui-dires afin d'etre celui qui sortirait le meilleur punch) a-ah!
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