mercredi 11 juillet 2007

53. L'immatriculée conception

Finalement, j'ai mes plaques d'immatriculation de l'Ontario.
Ais-je omis de vous partager qu'au moment de recevoir mon permis de conduire (voir déboires précédents), l'aimable caissière avait laissé glissé « Vous avez un véhicule? » dans la conversation?
Moi, le cave, j'avais répondu oui.
Ce à quoi elle avait rétorqué sur un ton qui semblait à peine cacher qu'elle savait exactement dans quelle merde je me retrouverais : « Ben dans c'cas, vous avez trente jours pour la faire immatriculer. En Ontario, ça va ensemble. »
Vlan dans les couilles.
Je suis sorti du bureau des permis de conduire -- qui n'est pas le même que le bureau des plaques d'immatriculation même si « ça va ensemble » -- en me disant que la première chose à faire serait de rapatrier ladite auto en Ontario, question qu'elle se fasse baptiser de nouvelles plaques.
J'ai donc pris un aller-simple en avion pour Halifax puisque je devais me rendre à Québec au début du mois. Comme le compte à rebours du sablier gouvernemental était parti, je suis reparti, avec l'auto, de Halifax en passant par Ottawa pour me rendre à Québec. Y'a rien de trop beau pour se faire immatriculer dans les délais prescrits.
La semaine dernière, je me présente donc au bureau du placage immatriculatif que j'ai trouvé à grand coup de recherches googliennes. J'ai avec moi un dossier assez lourd qui retrace même l'arbre généalogique de mon véhicule.
Bondée de monde était la place, vous dis-je en inversant les éléments syntaxiques pour vous confondre davantage et vous partager un brin de ma détresse. Une éternité s'est écoulée entre le moment où j'ai décroché le petit billet rose et le moment où on l'a appellé. J'ai observé les autres crétins qui sont arrivés après moi et on fait tous exactement la même chose. On donne un coup sec sur le bidule qui crache sa série de petits billets sur le principe du papier de toilette; on le regarde pour être certain qu'on n'en a qu'un seul et qu'il comporte un numéro quelconque; et on promène nos yeux hagards sur les murs beige fade pour trouver l'afficheur qui déterminera combien d'autres hallucinés doivent passer au comptoir avant qu'arrive notre tour. J'avais le numéro 84; on était rendu à 17.
J'avais sérieusement besoin de me refaire la barbe quand mon numéro a été appellé. Je lui expose l'intention de ma démarche et j'ai cru pour un instant que j'avais affaire à une automate quand elle a levé le bras pour m'indiquer la réception en me disant : « 'vous manque des papiers. Allez voir la réception pis à va vous dire quossé qui vous manque. » C'est quand même bien le service en français.
Il m'était difficile de me réjouir du fait qu'il n'y avait personne en file à la réception. Les heures que j'avais perdues auraient pu être épargnées si j'avais commencé par là et c'était là le petit côté difficile à avaler. La préposée occupait au moins les deux-tiers de l'espace qui lui était réservé. L'espace en question était assez spacieux alors tirez vous-mêmes vos conclusions. Elle était d'une gentillesse exceptionnelle et elle m'a même fournie, écrite à la main svp, une liste des documents dont j'avais besoin. Bref, il me manquait une inspection de mon véhicule et un test d'émissions polluantes. Le reste, je l'avais semble-t-il.
Je suis retourné au bureau et après avoir enregistré ma demi-journée d'absence " pour raisons personnelles ", je me suis rué sur le bottin pour me trouver le Canadian Tire le plus proche.
- L'inspection du véhicule, on peut vous la faire avant la fermeture pis on ferme juss' à 9h à soir.
Je l'aurais frenché.
- Mais le test d'émissions, ça, on peut pas avant demain.
Shit. Comme un malheur ne vient jamais seul, il ajoute :
- On prend pas de rendez-vous pour les tests de même.
- Alors on fait quoi?, que je lui demande.
- Ben, on ouvre le comptoir à 7h pis on commence à rentrer les autos vers les 8h. C'est premier arrivé, premier servi.
Je devais avoir le non-verbal assez puissant car de l'autre bout de la ligne, il ajouta :
- On est sur semaine, c'est pas trop occupé le matin. Si vous venez de bonne heure, vous passerez sûrement le premier.
Le lendemain matin, à 6h30 j'étais dans mon auto sous la pluie battante pour me rendre au Canadian Tire qui est situé près de mon bureau. J'avais apporté des dossiers, mon portable, bref de quoi me tenir occupé pendant quelques heures. J'avais aussi l'intention d'observer ce que ces enfoirés foutaient entre 7h et 8h.
En attendant sur les feux rouges, je repasse la liste que la vaste réceptionniste m'avait préparée. Elle a écrit "Ownership". Dans mon gros dossier, j'ai bien un certificat qui confirme que je suis propriétaire du véhicule alors je me dis que ça doit être ça. Dans le compartiment de la portière de mon auto, j'ai aussi le certificat qui confirme que je suis le propriétaire des plaques. C'est comme ça dans ma province d'origine. À tout hasard, je me dis que je vais le mettre dans le dossier quand même. En conduisant d'une main et en changeant les vitesses de cette même main, qui sert aussi à l'occasion à prendre une lampée de café que j'apporte pour passer le temps entre 7h et 8h, je fouille de l'autre main le compartiment en question.
Je range les assurances et le certificat d'enregistrement dans le même petit machin depuis que je suis propriétaire d'une auto. Mon copain, lui, il trouve que c'est pas prudent de laisser tout ça dans la portière car il croit aux voleurs comme d'autres croient au Père Noël. Comme c'est lui qui utilise l'auto la plupart du temps, il a pris l'initiative de nous protéger des méchants bandits et de retirer ces papiers de leur cachette.
Je sors mon cellulaire et compose son numéro de la main qui conduit, qui change les vitesses et qui boit du café.
- Où sont les assurances et les enregistrements de l'auto?
- Euhhh, qu'il me répond dans un français impeccable.
- Dans le couffre?
- Le coffre.
- Dans le coffre peut-être?
- Il mouille à varse.
- What?
- Il pleut beaucoup.
- Ah.
- OK, je vais m'arranger.
- Have a good day.
- Ouain, c'est ça.
À 6h40, je décide que c'est foutu de toute façon. Je décide de rentrer au bureau et de remettre tout ça à une date ultérieure.
Dans la matinée, je transfère mes assurances d'auto en Ontario. J'évite bien de mentionner que j'ai perdu -- que quelqu'un a mis le document en sureté -- le certificat. Le lendemain, j'avais de nouveaux certificats dans la poste. Une efficacité renversante qui m'a fait croire que le destin venait de me placer sous une bonne étoile. Ce soir-là, je me suis endormi en rêvant au Canadian Tire pour le lendemain matin.
Cinq cent dollars plus tard, l'auto sortait de là avec des freins neufs et les deux certificats requis. Elle n'avait probablement pas plus besoin de freins neufs que moi d'un onzième orteil mais je n'ai rien questionné quand on m'a donné le diagnostic. Shlic-shlak, qu'on en finisse, cibouère.
Je suis donc retourné voir l'immatriculeuse ce matin avec tous les documents de la liste et bien plus encore. Elle m'a remis deux plaques. Une pour devant. Une pour "le bout", comme elle a dit. C'est bien quand même le service en français.
- En Nouvelle-Écosse, on n'en a qu'une à l'arrière. Il m'en faut une à l'avant?
- Oui, c'est la loi.
- Mais j'ai rien pour accrocher une plaque à l'avant.
- Tu peux acheter le support pour la plaque...
- ... au Canadian Tire, dirent-nous en choeur.
C'est donc commode, le Canadian Tire.