lundi 24 novembre 2008

86. Concours « En revenant de Rigaud »

Au Tim Horton de Rigaud, j'entends une des serveuses qui dit à l'autre :
- Y'en a une des trois qu'est tombée enceinte.
Avouez que ça laisse un peu perplexe. Pour le reste de mon beigne, j'ai imaginé les scénarios suivants.
Scénario 1 : On pense toujours au pire, c'est bien connu. Trois filles se sont faites attaquer par un violeur en série. Y'en a une des trois qu'est tombée enceinte.
Scénario 2 : Une clinique de Montréal offre un traitement miracle pour rendre la fertilité aux couples qui éprouvent des problèmes à procréer. Trois serveuses du Tim sont allées suivre des traitements. Y'en a une des trois qu'est tombée enceinte.
Scénario 3 : Nicole Kidman fait la promotion de chutes d'eau en Australie qui feraient des miracles pour rendre la fertilité aux femmes pour qui ça pose problème. Trois amies de la serveuse du Tim Horton de Rigaud sont allées y faire trempette. Y'en a une des trois qu'est tombée enceinte. (Je me dis qu'il doit y avoir une méchante partouze gay en haut de la chute!)
Scénario 4 : La serveuse du Tim Horton de Rigaud a trois chattes. Elles étaient toutes en chaleur en fin de semaine et elles sont sorties malgré sa surveillance. Y'en a une des trois qu'est tombée enceinte.
Scénario 5 : Au lieu de trois petits cochons, l'histoire présente trois petites cochonnes. Et c'est pas en soufflant que le gros méchant loup fait des ravages. Y'en a une des trois qu'est tombée enceinte.
Je crois avoir fait le tour des possibilités. Vous pensez à autre chose?

85. Coin Viger

Ce que vous allez lire se déroule en moins de 10 secondes au coin de la rue Viger à Montréal et d'une autre rue qui commence par un saint. Il y en a quelques-unes à Montréal.
Je suis - du verbe suivre - une Mercury Topaz et on s'entend que les conducteurs de Mercury Topaz sont pas particulièrement portés sur le slalom. Bref, je le double assez rapidement, question de principe.
Ce faisant, je frappe dans un nid de poule montréalais, sans doute un vieux restant de l'hiver dernier car l'hiver ne fait que commencer. Immédiatement après, un feu rouge.
Je stoppe et dès que l'auto s'immobilise, je suis assailli par deux hommes des deux côtés de ma voiture. Celui du côté conducteur frappe à ma fenêtre en criant. De l'autre côté, même coups portés à ma vitre mais une allure de Viking et il brandit ce qui semble être un bouclier en plus. Je n'y comprends rien mais il me vient à l'esprit que le conducteur de la Topaz est peut-être un justicier routier qui cache dans son coffre une horde d'enragés qui se précipite sur les chauffeurs qui osent le doubler. Je baisse la vitre côté conducteur d'un centimètre en verrouillant mes portières habilement. Il me crie encore plus fort : « Roule pas, tu vas passer dessus. » Alors là, je me dis que j'ai frappé quelqu'un.. distrait par le nid de poule.. se peut-il? L'autre frappe de plus belle avec son bouclier dans la main et je me dis que ça va passer au vert bientôt, avec l'autre qui me dit de ne pas « rouler dessus » et tout et tout. Je sais pas si vous avez déjà conduit à Montréal mais quand ça passe au vert, tu as tout intérêt à t'être fait une opinion, ce qui n'était pas mon cas. Celui qui gesticule à ma gauche finit par me dire : « Bouge surtout pas, je vais le ramasser. » Je le vois qui avance devant l'auto, ce qui règle un peu mon dilemne au cas où le feu devient vert. Au moins, ce sera pas ma faute si je ne m'engage pas dans l'intersection... Il se penche devant l'auto et brandit à son tour un bouclier. Il s'avance vers moi et me dit « Tiens le v'là ton cap de roue. » Là je me dis qu'en Acadie, on dit « une » cap de roue mais je n'ai pas le temps d'analyser tout ça car le feu passe au vert. J'appuie profondément sur les quatre boutons baisse-vitre et j'aurais bien baissé le toit si j'avais conduit une décapotable. Mes deux comparses lancent les deux enjoliveurs que j'ai perdus en frappant le nid de poule.. l'un dans le siège arrière, l'autre sur le siège du passager. Je passe en première, ni vu, ni connu. La Topaz me suit lentement.
Y'a quand même du ben bon monde à Montréal.

lundi 17 novembre 2008

84. La passion

En fin de semaine, j'ai tout à coup remarqué la plante. Avant de déménager, on l'avait rasé bas de sorte qu'il ne restait que trois ou quatre tiges sans feuilles qui se pointaient hors de terre, question de faire le voyage Halifax-Ottawa plus facilement.
C'est une plante tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Je ne me souviens pas de son nom, un nom ordinaire, surtout pour un gars comme moi qui n'y attache aucune importance. Elle a des feuilles vertes avec une tache violette au centre qui occupe de plus en plus d'espace sur la feuille selon la dose de soleil qu'elle reçoit. Ici, elle est plein soleil alors le violet domine.
Si je vous en parle, c'est que cette foutue plante à 13 ans. C'est mon père qui en avait donné deux à mes filles alors qu'elles étaient toute petites. Bien entendu, il ne savait pas qu'il allait mourir quelques semaines après. Et là, je dis ça et je me trouve crétin parce qu'il le savait peut-être. Qu'est-ce que j'en sais moi de ce qu'on ressent quand on est sur le déclin? Peut-être qu'un grand-père ça ressent une petite chaleur en dedans quand il voit ses petits-enfants et que ça l'inspire à donner des plantes vertes avec leur tache violette et tout et tout?
Si je vous en parle, c'est que quand il a donné ces plantes à mes filles - qui devaient faire dans les 7 et 5 ans alors vous imaginez comment horticoles elles pouvaient être - il m'a expliqué comment les rendre plus touffues. Ces plantes, elles sont pas très futées. Elle poussent en longueur : je me rajoute une feuille et je te fais sortir un bout de tige; le bout de tige pousse et je te rajoute une feuille et je te fais sortir un bout de tige; et je continue comme ça moi et mes feuilles vertes avec leur tache violette. Bref, le paternel il m'avait expliqué comment « pincer » le bout de tige pour stopper le prolongement de la branche et inviter la plante à produire d'autres feuilles à la base ou à tout le moins, à faire grossir les feuilles qu'elle a déjà.
Si je vous en parle, c'est que quand mon père il m'a expliqué tout ça, ben moi j'écoutais pas. J'écoutais pas parce que les plantes je m'en fous un peu dans la vie. J'écoutais pas parce que je me disais que les fillettes, elles allaient pas faire grand chose de ces plantes (là-dessus j'avais raison, la preuve c'est que c'est moi qui s'en occupe). J'écoutais pas parce que je savais pas que c'était la dernière fois que je parlerais avec mon père vivant.
Alors les plantes, elles me suivent partout. Je m'en occupe du mieux que je peux. Je les transplante, je les coupe, j'en transplante, j'en donne à des amis. Je les mets au soleil, avec leur tache violette qui s'étend. Mais à chaque fois que je pince la tige pour les rendre plus touffues, je ne sais pas si je le fais bien. Je ne sais pas si je fais la bonne chose. J'écoutais pas quand mon père il me l'a expliqué.

mercredi 12 novembre 2008

83. Pauline

Mon travail m'oblige à participer de temps en temps à des trucs mondains, du genre pas mon genre. Au début, je m'efforçais de jouer le jeu et de trouver des choses intéressantes à raconter à des gens qui n'en avaient rien à en foutre. Je suppose que c'est un apprentissage mais j'ai vite cessé ce petit jeu. Maintenant, je fais ma petite affaire, je ravage les petits fromages, je dévalise le buffet et je ramasse tout ce qui se boit et qui passe près de moi sur un plateau. Je suis le meilleur client des barmans. Il n'est donc pas rare de me retrouver tout seul dans mon coin et, chose fascinante, je le reste rarement car des gens que je ne connais pas trouvent des choses qu'ils trouvent intéressantes à venir me raconter, en s'efforçant de jouer le jeu.
Ce soir là, je yeuxtais un pâté de foie gras quand j'ai aperçu la Pauline Marois toute seule comme un coton. Vous aurez deviné que c'était avant les élections car aujourd'hui elle serait encadrée de quatre gorilles. Me voilà l'envie qui reprend de jouer le jeu, je lui raconter des choses que je trouve intéressantes. Je m'approche, elle y va d'un grand sourire. Quand elle sourit, ses yeux sourient aussi, c'est astucieux. Pas besoin de lui faire la causette, c'est elle qui semble contente de quitter son ermitage social. Je trouve le tour - comment j'ai fait me dépasse encore - de lui refiler l'information que je suis Ontarien, donc que je voterai pas pour elle aux élections éminentes, ni contre elle d'ailleurs pour les mêmes raisons. Elle trouve ça génial et elle est charmante et tout et tout, avec beaucoup de classe.
Mais là, c'est la campagne électorale au Québec et je les journaux et il semblerait qu'elle a un peu trop de classe pour le Québécois moyen. D'après ce que j'ai pu en comprendre, elle aurait plusse de chances d'être élue si elle portait des bigoudis sur ses pancartes promotionnelles. Elle passerait mieux si on la voyait avec des pantoufles en phentex de temps en temps. Elle atteindrait des records dans les sondages si elle rotait pendant le débat de chefs. Et si elle trouvait ça drôle d'avoir roté à la télé, elle deviendrait première ministre sur-le-champ, le brave peuple l'adulerait.
Je vous raconte ça parce que moi, voyez-vous, je vote pas nécessairement pour la meilleure personne aux élections. Je vote pour celui ou celle qui me fera pas trop honte. Dans l'isoloir, je les imagine tous en train de serrer la main d'un autre chef d'état et je vote pour celui qui me ferait le moins honte.
La Pauline elle me ferait pas honte du tout.

dimanche 9 novembre 2008

82. Un passé plus que présent

Comment dire?.. Ben j'ai l'impression d'avoir passé à travers un Bescherelles des temps composés et décomposés, moins que parfaits, plus qu'antérieurs, enfin vous voyez le genre.
D'abord le souper de famille qui s'est très bien soupé-de-famillé en soi. C'était la fête d'Obama a la télé alors on a perdu des joueurs de temps en temps mais c'est ok. J'étais bien prêt à partager la fébrilité de mon retour aux sources avec le dieu qui sauvera la planète.
Ensuite, la mère, coincée dans les fils d'araignée alzeimeriens. La frangins-frangines m'avaient prévenu qu'elle n'était pas très à jour en politique internationale, tout inquiets qu'ils étaient que je n'aie une mauvaise réaction à l'idée qu'elle ne me reconnaisse pas. Mais moi, vraiment vraiment là, je n'en fais pas un plat parce que c'est la maladie. Et cette maladie, ça ne semble pas la faire souffrir car elle rigole toujours comme avant la mère et moi j'aime bien ça la voir rigoler pour des riens. J'ai pris des photos avec elle et ce sont de beaux souvenirs parce qu'elle s'est toujours marrée comme une jouvencelle asiatique en prenant des photos et elle se marre encore beaucoup. Et moi je me bidonnais aussi alors les photos sont plutôt réussies.
Oh, un petit détail. Je me suis laissé poussé quelques poils au menton depuis la dernière fois que je l'avais vue. Alors je savais que je n'avais pas augmenté mes chances de figurer à son répertoire restreint de connaissances, mêmes vagues. Or, parmi toutes les raisons qu'elle m'a donné de croire qu'elle n'avait pas la moindre idée de qui j'étais (la palme va à - « Pis, comment va ta mère? »), v'là-t'y pas qu'elle me touche le duvet facial de sa belle main - ma mère a de très belles mains, tout le monde le dit - et que dans un éclairci du brouillard crânien, elle plisse les yeux : « T'en avais pas de barbe avant, hein? »
Curieux que je reste de marbre devant tout ce dont elle ne se souvient pas mais qu'elle m'émeut avec ce vague restant de mémoirette confuse.
Je ne sais pas si c'est ce qui a donné le ton mais j'ai ensuite passé le reste de ma fin de semaine avec une amie d'enfance, perdue et retrouvée souvent. Et on n'a fait que se rappeler des souvenirs d'enfance, peut-être pour être certain qu'on s'en souvient, mais tout ça sur un fond de tentative de comprendre pourquoi on semble elle et moi moins affectés par les valeurs chrétiennes que bien d'autres. On a conclu que c'était en 8e année, quand le dimanche la messe avait été annulée et que le lundi matin, on avait une suppléante. C'est que le curé Haché, il était parti avec la soeur Doucette. Quand il est parti, il avait oublié d'avertir l'évêque alors il y avait pas eu de messe. Toute la paroisse elle était là mais personne le savait qu'il y avait plus de curé. Mais la soeur Doucette, elle avait dû mieux se préparer parce que la directrice, elle avait eu le temps de trouver une suppléante pour le lundi matin.
Alors mon amie et moi, on pense que cette fin de semaine-là, nos valeurs ont peut-être été bousculées un peu.
Du coup, on a ouvert une autre bouteille de vin.

mardi 4 novembre 2008

81. Le retour de l’enfant prodige

Tout à fait cliché mais c’est bien comme ça que je me sens ce soir en me préparant pour aller faire un visite éclair dans mon coin de pays natal. Tout est parti d’un voyage d’affaire que j’ai décidé de prolonger de quelques jours. En fait, d’un soir au Nord pour voir ma mère et d’un soir au Sud pour voir ma fille. Quelque chose de très ordinaire quoi.
Or je reçois un appel de ma frangine qui me demande des détails sur mon arrivée, question de réunir la famille au grand complet, chose qui ne s’est pas produite depuis un siècle ou deux. Voilà qui suffit pour que mon imagination – terreau fertile s’il en est – se mette à imaginer des scènes de retrouvailles bourrées d’émotions, digne du retour de l’enfant prodige au bercail. Je sais déjà que tout ce qui sera truffé lors de cette rencontre seront les classiques œufs farcis frettes préparés le soir d’avant à la mayonnaise douteuse mais rien ne peut m’empêcher de penser que c’est un moment un peu spécial, ne serait-ce que parce qu’il a pour prétexte mon humble présence auprès des mes frères et sœurs aînés et que mon statut de petit dernier m’oblige à jouer au grand garçon. Bref, ce qui devait être tout simple prend des proportions innatendues.
Je me retrouve tôt à l’aéroport, ayant prévu y prendre mon petit-déjeuner. Mon premier reflexe est de me demander ce que j’ai bien pu oublier à la maison. J’ai peu dormi, trop intéressé à me faire une liste mentale de ce que je devrais préparer à mon pseudo-réveil. Choisir un livre assez mince pour glisser dans mes bagages, dans la pile de mes achats des derniers mois que je n’ai pas le temps de lire figure à celle-ci. Elle figure aussi au palmarès des choses que j’ai oubliées. Je me retrouve donc à la librairie de l’aéroport par pur reflexe comme le fumeur chronique qui s’achète des cigarettes.
Comme d’habitude, la sélection en français est assez mince et je me demande s’il existe un contraire à l’expression « l’embarras du choix ». Je n’en trouve aucune et je suis tenté par un titre d’Amélie Nothomb que je ne connais pas. Ce doit être nouveau car il me semble que j’ai tout lu ce qu’elle a écrit même si je n’aime pas particulièrement. Elle est de ces auteurs qui ont écrit un truc qui m’a plu et dont j’ai lu le reste des œuvres en quête de la même extase. De plus, j’ai un peu peur d’elle et de ce que son esprit tordu pourrait bien pondre un jour. J’ai bien quelques amies sorcières – c’est bien pratique – mais pas du genre qui vous annonceraient la fin du monde sur un ton badin comme cette Nothomb pourrait le faire.
Mon choix – ou mon pas de choix – tombe sur Kathy Reichs, une Américaine qui vit au Québec et dont le titre du livre traite d’Acadie. De Tracadie, pour être plus précis. C’est traduit et je me délecte déjà des anachronismes et des allures tordues que prendra certainement Tracadie dans la tête d’une Américaine qui n’a entendu parler des Acadiens que de la bouche des Québécois. Je feuillette et j’achète d’un pas décidé, sourire entendu irréprésible : l’héroïne s’appelle Évangéline, ça va être tordant.
Je ne suis pas déçu : Évangéline a 10 ans et son livre préféré qu’elle traîne sur une plage de la côte américaine n’est rien de moins que le poème lyrique de Longfellow. Son passe-temps de vacances ? Évider du poisson avec son oncle. Cette fillette parle de la déportation comme si elle était née avec une carte-puce de la bibliothèque du Centre d’études acadiennes rivée dans le cervelet. C’est à mourir de rire et je passe trois mouchoirs à m’essuyer les yeux pendant mon petit-déjeuner.