lundi 2 avril 2012

Siape déménage

Le déménagement est en cours. Je vais pouvoir mettre des photos. Et peut-être me débarasser des attaques au billet 59. Je vous informe de mon nouveau URL bientôt!

dimanche 1 avril 2012

193. Le chien bleu

Nous sommes à Carmel en Californie. Le petit campeur est stationné sous un arbre en prévision d'un petit repos à notre retour d'une randonnée dans cette petite ville aux allures touristiques, assez clairement destinées aux gens du troisième âge qui s'y déversent en autocar ou qui s'y installent de façon plus ou moins permanente. La ville rappelle certaines bourgades de la côte Sud de la Nouvelle-Écosse où les riches américains s'achètent des propriétés impossibles pour quelques fins de semaines par année. Sauf qu'ici, ils sont chez eux.
Les rues regorgent de petites et de moins petites galeries d'art, présentent des artistes locaux ou moins locaux. Il n'y a pas de "made in China"; je n'en ai pas vu en tout cas. Ces galeries, propres à bien des destinations touristiques, ont quelque chose de particulier pour moi : j'y entre, et dès les premiers pas, je sais si je vais aimer y passer un certain temps ou si c'est certain que j'ai pas de temps à y passer. J'ai ensuite toujours le même reflexe. Je demande à la personne préposée si elle connaît l'artiste. Si c'est négatif, je file en marmonnant un remerciement. Si elle connait bien l'artiste, je déambule rapido, regarde ma montre et indique je dois filer en marmonnant quelque chose qui pourrait à la limite être interprété comme un remerciement. Là où c'est le plus fourrant, c'est quand c'est le conjoint de l'artiste, ou l'artiste lui-même qui est là à vendre sa camelote. Là je me sens obligé d'émettre quelques sons admiratifs d'une hypocrisie que je cache de moins en moins avec l'âge. J'arrive quand même à pousser des "oufff" à deux faces car ça peut tout aussi bien dire "oufff-que-c'est-beau" que "oufff-ça-se-peut-tu". La nuance est dans ma tête et l'artiste n'y voit que du feu.
La plupart des galeries de Carmel sont de vieilles maisons qui ont été reconverties. Je m'intéresse souvent, surtout si l'art qu'elle contient n'est pas digne de porter ce nom, à regarder l'architecture pour voir où était le salon, la salle à manger, à l'époque. Nous longeons une de ces maisons aux grandes fênêtres qui contient des toiles d'assez grande dimension comportant toutes le même thème : un chien bleu, ou des chiens bleus, mais toujours le même. Des yeux jaunes perçants, une tache blanche sur le museau. La galerie est fermée pour 15 minutes, comme l'affichette l'indique. On y reviendra.
Sauf qu'une demi-heure plus tard, l'affichette indique toujours un retour de moins en moins probable dans quinze minutes. Il faut dire que la plupart des galeries indiquent des heures d'ouverture assez vagues : ouvert vers 10h, fermeture vers 16h (ten-ish to four-ish). Je furete donc par les grandes vitrines pour admirer ce chien bleu qui me fascine. C'est un art qui dégage un certain côté enfantin, les toiles sont de dimension impressionnantes. J'imagine difficilement un décor qui mettrait une telle oeuvre en valeur. Mais je zigone autour quand même dans l'espoir que le quinze minutes du préposé de la galerie va se terminer. Le temps file, on n'a pas prévu passer la soirée à Carmel et bientôt j'en fais mon deuil. La seule chose qui m'aurait véritablement intéressé à Carmel n'ouvrira pas ses portes pour moi. Je ne verrai pas de près le chien bleu.
Il m'arrive rarement d'être obsédé par un artiste ou l'une de ces oeuvres. Pourtant, le soir venu au coin du feu, je parle encore du chien bleu. De tout ce que j'ai vu à Carmel, c'est de loin le plus marginal. Je m'entends dire que cet artiste doit être différent, avoir une personnalité bien spéciale et je me demande comment on devient célèbre à produire des chiens bleus.
Mon copain me dit en ajoutant une bûche que je devrais bien prendre mon iPod et de googler "blue dog" pour en avoir le coeur net. J'ai toujours quelques hésitations à introduire la technologie au coin d'un feu de camp en pleine nature et j'ai déjà fait des commentaires très désobligeants envers les amerloques qui crachent dans leur cellulaire quand on essaie de relaxer sur une plage. Mais bon, c'est plus fort que moi et je google "blue dog carmel". On n'est pas tout à fait au coeur de la francophonie après tout. Enfin, le pensai-je...
À ce jour, je reste intrigué par le lien qui m'unit à l'artiste et à son chien bleu. Je ne possèderai jamais de "chien bleu" car ces toiles se vendent à un prix astronomique et les sérigraphies sont à peine plus abordables. Mais le petit Acadien en moi, qui se retrouve au fond de la Californie, et qui tourne autour d'une galerie d'art ne comportant rien d'autre que des chiens bleus est marqué à jamais par le mystère du chien bleu et de ses yeux jaunes perçants.

jeudi 8 mars 2012

192. Kelly et Candace

Ce qu’on remarque avant tout, ce sont leurs jambes. Kelly en a de fort belles, longues, féminines, du genre de celles dont on prend grand soin. Trois fois par jour, précise-t-elle. Candace est plus courte, mais compense par des sandales hautes et colorées. Les deux ont des ongles des orteils vernis avec soin. Je me demande si elles se les font mutuellement ou si l’une des deux possède l’art et en fait profiter l’autre.
Toutes deux ont été mariées dans une vie antérieure. Avant sa réincarnation, Candace s’appelait George. Il est encore triste quand il pense à sa femme, diabétique, qui a souffert pendant huit mois, mais qui ne voulait rien savoir de changer son alimentation pour autant. C’est pendant ce calvaire qu’il a rencontré Kenneth qui lui prenait alors « toutes sortes de merdes » (traduction libre) pour avoir des seins et réduire la taille de ses testicules qu’il espérait pouvoir repousser vers l’intérieur, de son propre dire. Il n’aurait plus alors qu’à escamoté cette verge encombrante avec du DuckTape, de son propre dire aussi.
George était charpentier, dans la construction domiciliaire, métier qu’il a bien aimé. Candace, elle, s’est découvert un amour pour l’état nomade et les sandales affriolantes. Quand Kelly l’a encouragé à porter une perruque, il s’est trouvé belle. Au lieu d’une femme malade, il en retrouvait deux pétantes de santé et libres comme l’air de faire des folies pas permises, voire impensables.
Nous sommes autour d’un feu de camp. Je suis fasciné par ces femmes terriblement vivantes aux histoires abracadabrantes. Le vin aidant, j’apprends que Kelly est une conductrice redoutable qui conduit dans un état d’ébriété frisant l’inconscience – c’est le cas de le dire – à toutes les fins de semaines. Plusieurs fois mise en tôle pour son inconduite – c’est à peine un jeu de mots – elle en veut encore aux policiers qui l’ont sortie de sa Coccinelle démolie après une soirée formidable et qui l’ont incarcérée en lui enlevant son sac à main, contenant tout son maquillage. Après l’impact, sa perruque était toute échevelée et ses faux-cils pendouillaient lamentablement. Elle se souvient d’être sur le cul dans sa cellule à hurler : Please give me my fucking handbag…
Nous rions franchement à la lueur du feu aux lueurs vertes et bleues parce que quelqu’un y a jeté un sac de MagicFire, acheté au Dollar Store. Kelly et Candace rient de plus en plus comme des hommes, mais l’incongru de la situation m’empêche de penser que le naturel revient au galop, surtout quand il est chaussé de sandales à talons-aiguille.
Candace lui, ou elle, me lance de bute-en-blanc qu’il possède soixante-douze fusils. Je lui demande pourquoi, la seule question qui me semble appropriée à cette heure avancée de la nuit, autour d’un feu de camp aux couleurs de moins en moins naturelles, au milieu de nulle part, en face d’un George aux orteils peinturlurés.
- Quand ma femme est morte, je me suis mis à avoir peur.
Nous partons tous deux d’un grand rire. Je crains ne plus pouvoir arrêter de rire, mais la question me brûle :
- Pourquoi soixante-douze?
- Depuis que ma femme est morte, j’ai vraiment très peur.
Nous repartons à rire de façon incontrôlable. Je me souviens avoir pensé qu’à suffoquer de la sorte, je devais sûrement inhaler à chaque fois des gaz cancérigènes en provenance du MajicFire acheté au Dollar Store, mais ça me faisait rire encore plus, un genre de cercle vicieux – à prendre sans jeu de mots, cette fois.
- Alors plus t’as peur, plus t’achète de guns?
- C’est ça. T’as tout compris.
J’ai tellement rien compris, ni ce soir-là, ni aujourd’hui, que mes quintes de rire m’obligent à me lever pour me tenir les côtes qui menacent d’éclater et ma gorge, elle, de se déployer.
Candace possède soixante-douze fusils qu’il a achetés lors des foires d’artillerie de l’Ohio. Avec trois signatures, elle pourrait avoir son permis de port d’armes et déambuler dans les campings perdus avec son arme flanquée entre ses jarretières et le DuckTape. Mais Kelly refuse de signer et Candace trouve inconcevable de demander son permis de port d’arme sans la signature de celle qu’elle aime le plus au monde. Mais il le pourrait, il n’a besoin que de trois signatures. N’importe qui ferait l’affaire.
Candace possède soixante-douze fusils.

191. Coast to coast

La première fois où je suis venu dans ce pays, dans l'entrée 159, j'ai fait l'erreur de nommer ses habitants. Depuis, cette page, et seulement celle-là, est attaquée plusieurs fois par jour pour y vendre des onguents, des crèmes rajeunissantes et sans doute bien d'autres choses que je me suis lassé de lire. Ce seul exemple résume en lui-même tout ce qui se vit ici.
Je suis parti après le bureau un mercredi soir pour la côte Est. C'est dire combien j'avais besoin de ces vacances. Car il faut être un peu fou pour entreprendre une trentaine d'heures de route avec un quasi-étranger, après une journée de travail ardue puisque je devais préparer mon absence de plusieurs jours. Cette idée saugrenue m'était venue à l'idée de faire une surprise à ma soeurette qui devait s'y rendre avant de se faire charcuter des cellules cancéreuses. La charcuterie ayant été devancée quelque peu, je me suis retrouvé avec des plans de voyages inutiles sur la côte Est, si ce n'est qu'il y faisait un temps superbe, dans les 30 degrés à tous les jours. On dira ce qu'on veut du soleil, il vous guérit du cafard de la routine de bureau en trois ou quatre rayons chatouillants.
Alors comme je le fais souvent, j'ai observé les personnes en vie que j'ai rencontrées. Celles qui déambulent les rues et qui sont déjà mortes m'intéressent peu. J'ai transporté mes observations ensuite sur la côte Ouest, véritable destination de mes vacances, pour y constater bien peu de différences. À l'exception d'un seul endroit, je rencontre beaucoup de gens superficiels. En fait, les personnes les plus vraies que j'ai rencontrées feront l'objet du prochain billet, et il faut le lire pour comprendre à quel point tout ça est triste.
Qu'est-ce qui fait que des personnes ne peuvent pas tout simplement être elles-mêmes? Qu'ont-elles tant à cacher? De quoi ont-elles honte qui fait en sorte qu'elles ne trouvent mieux que d'essayer de vous convaincre qu'elles sont quelqu'un d'autre, au risque à peine calculable d'avoir l'air ridicule? L'un ne cesse de jouer avec les clefs de la BMW car ça semble être la seule chose dont il peut être fier. L'autre vous en met plein la vue avec ses voyages parce que sa personne n'a vraiment rien d'intéressant. Une autre est convaincue de vous épater avec les personnes qu'elle connait. Si on connait Untel, on doit surement être important. Triste tout ça. Ça ne fait que me donner envie d'être encore plus moi-même, allez-donc savoir pourquoi.

lundi 20 février 2012

190. Nuit blanche et année noire

Quatre heures du matin et l'impression de m'être shooté à la caféine juste avant d'aller au lit. Pas fermé l'oeil, ni l'autre, ni le bon. Incapacité de dormir sur mes deux oreilles, mais qui donc peut faire ça, dites-le moi.
Presque deux mois bien entamés dans l'année. Une amie-fée m'a dit un jour que la mort des autres, c'est une étape de la vie. Ces jours-ci, c'est qu'elle est partout la vache. C'est comme un maringouin. Plus c'est proche, plus ça dérange.
La dernière en lice me trotte dans la tête. Un revenant d'une autre vie que j'ai connu dans les luttes sociales de ma jeunesse. Philantrope comme pas un, et dans le meilleur de sens. Il avait de l'argent qui lui sortait par les oreilles, faisait des dons à droite et à gauche, contribuait à ceci et à cela, toujours sous le couvert de l'anonymat. Jamais il n'a voulu qu'on reconnaisse ses contributions. Sans perdre une once d'admiration, je me demande aujourd'hui ce dont on se souviendra de lui. Les jeunes qui marcheront sur la place qui porte son nom sauront-ils même qui il était et une partie du bien qu'il a pu faire? Est-ce que ça s'enseigne dans les écoles?
Et encore plus prêt, il y a la maladie. Ma soeur. Charcuterie la semaine dernière. Ce qui devait être assez mineur se met à prendre des proportions. J'ai l'imagine d'une araignée qui tend sa toile d'un organe à un autre. Sa voix. C'est si rassurant d'entendre une voix qui n'a pas changée. Et pourtant, tout à changé. Tout est entre les mains d'une araignée.

vendredi 4 novembre 2011

187. Aide-toi car personne le fera pour toi

Au fil du temps, autant dans le milieu professionnel que dans mes contacts personnels, j'ai rencontré beaucoup de gens déprimés, vivant une sorte de désespoir pas très clair à mes yeux. Un jour, j'en avais parlé à un patron que j'estimais beaucoup et il m'avait répondu : You know Ronald, only 5% of the people are normal. Je me souviens avoir été choqué par l'énormité de ce qu'il venait de dire. Devant mon air ahuri, il ajoute : Think of the team we work with. This one has slammed the door to the last meeting. This other cries three or four times a day regularly. Je lui ai dit d'arrêter : j'avais compris.
Cette discussion me revient de temps en temps quand une personne me raconte ses problèmes, ses maladies, les choses impensables qu'elle a vécu ici ou là. Comme si chaque chose qui lui arrivait était un malheur personnel insurmontable qui n'arrive à personne d'autre.
À vouloir aider les autres à s'en sortir, il m'est apparu clair que bien des personnes qui ont le mal de vivre attendent un sauveur. Leurs bobos sont des cris qui appellent au secours et ils continuent de s'enliser dans leur misère en se disant qu'à s'enfoncer de plus en plus dans la merde, il va bien finir par se passer quelque chose, quelqu'un va bien finir par les apercevoir et leur donner le coup de main qu'il faut pour s'en sortir.
Or voilà : j'ai l'impression que ce coup de main qu'il faut, c'est plutôt un coup de pied qui leur expliquerait sans trop de frioritures que justement il n'y pas personne pour les aider à s'en sortir et qu'à s'enfoncer comme ça, ils ne vont qu'aller plus creux et qu'il sera de plus en plus difficile de s'en sortir. Seul. Car c'est pas vrai que quelqu'un va passer par là pour les sauver. Le seul vrai espoir, c'est de les trouver toi-même tes solutions mon pote.

jeudi 6 octobre 2011

186. Et si tout ça n'avait pas de sens

Il y a un certain risque à se donner du temps pour penser. La vie nous charrie, nous pousse vers l'abattoir comme des sardines sur la courroie prêtes à être entassées dans une boite de conserve rectangulaire.
Et voilà que tout à coup, j'ai le temps de regarder tout ça d'un autre oeil, ni l'un ni l'autre des miens.
La question de la langue est au coeur de ma vie. La survie du français (si je n'étais pas en vacances, je dirais l'épâââânouissement) est au coeur de ma vie. Elle ne l'a pas toujours été cependant, car j'ai connu des années d'insouciance où tout portait à croire que rien de tout ça n'était en péril.
Mais voilà que je vis en reclus pour une semaine, coupé de tous mes ponts, dans le pays de l'Oncle Sam où ma langue est une anomalie qui va bien réussir à guérir un jour. On me prendrait en pitié en cachette que je n'en serais pas surpris.
Le long des rues hypnotisantes bordées de fleurs recèlant des hauts-parleurs qui diffusent discrètement une musique à vous enliser dans une léthargie certaine, j'entends venu d'on ne sait où Dust in the Wind. Et me voilà devenu cette poussière qui se surprend à être ému sans trop savoir pourquoi, me demandant quel curieux souvenir peut bien éveiller cette chanson qui remonte à la fin de mon secondaire. Je cesse de marcher, j'ai une poussière dans l'oeil voyez-vous. Comment une chanson anglaise peut-elle s'être infiltrée (filtre d'aspirateur, poussière, décidément on n'en sort pas) dans mon intérieur sans que je puisse me souvenir du moment. Comment faire une place à ses souvenirs qui n'ont rien à voir avec le français? Est-ce commettre un péché contre-nature qu'on me reprochera quand je retournerai en poussière (elle était trop facile)?
Si dès lors je me sens coupable de ce flirt irrévérencieux, comment vivront les jeunes d'aujourd'hui qui se laissent pénétrer de toute part par l'Ennemi sans l'ombre d'un remords et en en tirant une jouissance éphémère jusqu'à ce qu'Il pousse encore d'un cran le fantasme dont ils rêvent tous secrètement d'être les protagonistes?
Je retourne à ma marche de santé. Tra-la-la-la-lère...