lundi 3 décembre 2007

56. Rouge ou bleu?

Bientôt un an que je suis arrivé ici. Je continue de découvrir cette nouvelle ville, pleine de contrastes.
Ce soir, c'est la tempête. Inhabituel à ce temps-ci de l'année qu'on me dit. Je suis descendu au Centre Rideau pour faire quelques achats pour célébrer comme-il-se-doit la naissance de Jésus à grand coup de cartes de crédit.
Le mauvais temps aidant, c'était la foule le long de la rue qui attendait les autobus. En avant, les autobus bleus en direction de la ville voisine, québécoise. En arrière, les rouges qui circulent dans la capitale et qui se dirigent vers l'Ouest de la ville.
Avec la neige qui tombait abondamment, le froid ambiant, les trottoirs étroits mal déneigés, une évidence m'est tombée dessus. Comme j'étais allé chez Chapters, j'ai dû me frayer un chemin parmi les Québécois qui attendaient les autobus bleus. Ils sont dehors, ils sont transis, ils ont froid, ils sont en criss que les autobus sont en retard. Un type accroche une ado avec son sac à dos et continue son chemin. (Le jeu de mot n'était pas voulu, je viens juste de le remarquer.) L'ado se retourne avec sa cigarette collée à la lèvre du bas, sans doute parce qu'il fait trop froid pour la tenir entre ses doigts : Ça se fait s'excuser, ostie d'môron, qu'elle lui dit. Moi, je n'accroche personne avec mon sac à dos, surtout pas une ado québécoise. Je continue mon chemin vers les autobus rouges. Les Ottawiens, les Kanatiens et les autres ontariens westerners, eux, sont bien couverts dans les abris d'OCTranspo. Tout le monde placotte gentiment et jette un coup d'oeil distrait à travers les murs vitrés des abris, question de voir quand leur autobus passera. Qu'il soit en retard ou non, c'est pas bien grave puisque l'air est bon dans l'abri. On s'attend quasiment qu'il y en a un qui va sortir son violon d'une minute à l'autre et que ça va virer au party.
La « 2 » arrive, je sors de l'abri et monte à bord après que tout le monde se soit fait des politesses.. non, non après vous, ben voyons. L'autobus rouge s'ébranle et passe devant l'attroupement de Québécois qui se cogne les pieds ensemble pour se les réchauffer dans la grosse neige qui leur a tous fait un chapeau blanc.
Je pense à deGaulle sur le balcon de l'hôtel de ville.

lundi 22 octobre 2007

55. En parlant de cette maison

D'aucun disaient que la mer me manquerait alors que ce sont les arbres qui se sont imposés comme un must dans mes réflexions sur l'achat d'une prochaine maison. Comme quoi on sort le gars de la forêt mais.. vous connaissez le reste. J'étais donc allé voir de ces nouveaux développements résidentiels, question d'acheter maintenant et d'emménager au printemps. Mais j'en ai fait mon deuil vite car j'ai réalisé qu'il n'était pas question que j'aille m'établir dans un coin sans arbres, comme les sont tous les nouveaux quartiers de ma ville (et d'ailleurs probablement). J'avais une certaine appréhension aussi des tricycles qui jonchaient ces belles rues neuves, considérant que ma contribution à la société était chose faite et mécaniquement impossible de toute façon. Je me promenais donc dans des coins plus anciens de la ville quand j'ai déniché le quartier idéal. Des grands arbres adultes, de gentilles vieilles dames en train d'arroser leurs plate-bandes, de chiens qui tirent leurs maîtres à la retraite. J'ai contacté un agent en lui disant de m'aviser quand il y aurait quelque chose à vendre dans le coin, chose qui ne s'était pas produite depuis trois ans, semblait-il. Je n'étais pas pressé.
Comme je crois au destin - c'est mon seul défaut spirituel - j'ai attendu et l'occasion s'est présentée la semaine dernière. Des gens qui ne quittent pas avant le printemps, comme je le souhaitais. L'emplacement est parfait pour moi. C'est un townhouse des années quatre-vingts. La Saw Mill Creek et la piste cyclable qui la longe sont en boni. C'est à 5 minutes de mon travail et à deux pas de la rue Bank. Avant tout, il y de grands arbres à l'arrière. J'espère que les voisns seront pas trop chiants

54. Des nouvelles de Soeur Sourire

J'ai appris, tout à fait par hasard, que Soeur Sourire, peu après avoir enregistré son tube de l'époque, avait défroqué.
La chansonnette gaillarde devait avoir quelque chose de prémonitoire car Soeur Sourire se serait mise à niquer (Dominique, nique, nique...) avec une autre femme et au terme d'une relation difficile, se serait bêtement suicidée. (J'aime imaginer qu'elle l'a fait en se donnant de grands coups de guitare, bref qu'elle s'est kabonguée, mais ce n'est que mon imagination qui déborde et qui m'amène à ce demander ce qu'il y avait dans mon café ce matin?!)
C'est quand même triste, même si c'est moins croustillant qu'avec les détails que j'ai imaginés.
Ah oui, je me suis acheté une maison. Derrière, il y a des arbres et un ruisseau. L'agent immobilier m'a dit que j'avais une vue sur l'eau. J'espère qu'elle blaguait mais je l'ai acheté quand même. Il y a aussi une toute petite terrasse où je pourrai mettre une petite table et une petite chaise pour prendre mon petit-déjeuner.
Mais l'achat de la maison n'a rien à voir avec le fait que Soeur Sourire était une défroquée lesbienne alcoolique.

mercredi 11 juillet 2007

53. L'immatriculée conception

Finalement, j'ai mes plaques d'immatriculation de l'Ontario.
Ais-je omis de vous partager qu'au moment de recevoir mon permis de conduire (voir déboires précédents), l'aimable caissière avait laissé glissé « Vous avez un véhicule? » dans la conversation?
Moi, le cave, j'avais répondu oui.
Ce à quoi elle avait rétorqué sur un ton qui semblait à peine cacher qu'elle savait exactement dans quelle merde je me retrouverais : « Ben dans c'cas, vous avez trente jours pour la faire immatriculer. En Ontario, ça va ensemble. »
Vlan dans les couilles.
Je suis sorti du bureau des permis de conduire -- qui n'est pas le même que le bureau des plaques d'immatriculation même si « ça va ensemble » -- en me disant que la première chose à faire serait de rapatrier ladite auto en Ontario, question qu'elle se fasse baptiser de nouvelles plaques.
J'ai donc pris un aller-simple en avion pour Halifax puisque je devais me rendre à Québec au début du mois. Comme le compte à rebours du sablier gouvernemental était parti, je suis reparti, avec l'auto, de Halifax en passant par Ottawa pour me rendre à Québec. Y'a rien de trop beau pour se faire immatriculer dans les délais prescrits.
La semaine dernière, je me présente donc au bureau du placage immatriculatif que j'ai trouvé à grand coup de recherches googliennes. J'ai avec moi un dossier assez lourd qui retrace même l'arbre généalogique de mon véhicule.
Bondée de monde était la place, vous dis-je en inversant les éléments syntaxiques pour vous confondre davantage et vous partager un brin de ma détresse. Une éternité s'est écoulée entre le moment où j'ai décroché le petit billet rose et le moment où on l'a appellé. J'ai observé les autres crétins qui sont arrivés après moi et on fait tous exactement la même chose. On donne un coup sec sur le bidule qui crache sa série de petits billets sur le principe du papier de toilette; on le regarde pour être certain qu'on n'en a qu'un seul et qu'il comporte un numéro quelconque; et on promène nos yeux hagards sur les murs beige fade pour trouver l'afficheur qui déterminera combien d'autres hallucinés doivent passer au comptoir avant qu'arrive notre tour. J'avais le numéro 84; on était rendu à 17.
J'avais sérieusement besoin de me refaire la barbe quand mon numéro a été appellé. Je lui expose l'intention de ma démarche et j'ai cru pour un instant que j'avais affaire à une automate quand elle a levé le bras pour m'indiquer la réception en me disant : « 'vous manque des papiers. Allez voir la réception pis à va vous dire quossé qui vous manque. » C'est quand même bien le service en français.
Il m'était difficile de me réjouir du fait qu'il n'y avait personne en file à la réception. Les heures que j'avais perdues auraient pu être épargnées si j'avais commencé par là et c'était là le petit côté difficile à avaler. La préposée occupait au moins les deux-tiers de l'espace qui lui était réservé. L'espace en question était assez spacieux alors tirez vous-mêmes vos conclusions. Elle était d'une gentillesse exceptionnelle et elle m'a même fournie, écrite à la main svp, une liste des documents dont j'avais besoin. Bref, il me manquait une inspection de mon véhicule et un test d'émissions polluantes. Le reste, je l'avais semble-t-il.
Je suis retourné au bureau et après avoir enregistré ma demi-journée d'absence " pour raisons personnelles ", je me suis rué sur le bottin pour me trouver le Canadian Tire le plus proche.
- L'inspection du véhicule, on peut vous la faire avant la fermeture pis on ferme juss' à 9h à soir.
Je l'aurais frenché.
- Mais le test d'émissions, ça, on peut pas avant demain.
Shit. Comme un malheur ne vient jamais seul, il ajoute :
- On prend pas de rendez-vous pour les tests de même.
- Alors on fait quoi?, que je lui demande.
- Ben, on ouvre le comptoir à 7h pis on commence à rentrer les autos vers les 8h. C'est premier arrivé, premier servi.
Je devais avoir le non-verbal assez puissant car de l'autre bout de la ligne, il ajouta :
- On est sur semaine, c'est pas trop occupé le matin. Si vous venez de bonne heure, vous passerez sûrement le premier.
Le lendemain matin, à 6h30 j'étais dans mon auto sous la pluie battante pour me rendre au Canadian Tire qui est situé près de mon bureau. J'avais apporté des dossiers, mon portable, bref de quoi me tenir occupé pendant quelques heures. J'avais aussi l'intention d'observer ce que ces enfoirés foutaient entre 7h et 8h.
En attendant sur les feux rouges, je repasse la liste que la vaste réceptionniste m'avait préparée. Elle a écrit "Ownership". Dans mon gros dossier, j'ai bien un certificat qui confirme que je suis propriétaire du véhicule alors je me dis que ça doit être ça. Dans le compartiment de la portière de mon auto, j'ai aussi le certificat qui confirme que je suis le propriétaire des plaques. C'est comme ça dans ma province d'origine. À tout hasard, je me dis que je vais le mettre dans le dossier quand même. En conduisant d'une main et en changeant les vitesses de cette même main, qui sert aussi à l'occasion à prendre une lampée de café que j'apporte pour passer le temps entre 7h et 8h, je fouille de l'autre main le compartiment en question.
Je range les assurances et le certificat d'enregistrement dans le même petit machin depuis que je suis propriétaire d'une auto. Mon copain, lui, il trouve que c'est pas prudent de laisser tout ça dans la portière car il croit aux voleurs comme d'autres croient au Père Noël. Comme c'est lui qui utilise l'auto la plupart du temps, il a pris l'initiative de nous protéger des méchants bandits et de retirer ces papiers de leur cachette.
Je sors mon cellulaire et compose son numéro de la main qui conduit, qui change les vitesses et qui boit du café.
- Où sont les assurances et les enregistrements de l'auto?
- Euhhh, qu'il me répond dans un français impeccable.
- Dans le couffre?
- Le coffre.
- Dans le coffre peut-être?
- Il mouille à varse.
- What?
- Il pleut beaucoup.
- Ah.
- OK, je vais m'arranger.
- Have a good day.
- Ouain, c'est ça.
À 6h40, je décide que c'est foutu de toute façon. Je décide de rentrer au bureau et de remettre tout ça à une date ultérieure.
Dans la matinée, je transfère mes assurances d'auto en Ontario. J'évite bien de mentionner que j'ai perdu -- que quelqu'un a mis le document en sureté -- le certificat. Le lendemain, j'avais de nouveaux certificats dans la poste. Une efficacité renversante qui m'a fait croire que le destin venait de me placer sous une bonne étoile. Ce soir-là, je me suis endormi en rêvant au Canadian Tire pour le lendemain matin.
Cinq cent dollars plus tard, l'auto sortait de là avec des freins neufs et les deux certificats requis. Elle n'avait probablement pas plus besoin de freins neufs que moi d'un onzième orteil mais je n'ai rien questionné quand on m'a donné le diagnostic. Shlic-shlak, qu'on en finisse, cibouère.
Je suis donc retourné voir l'immatriculeuse ce matin avec tous les documents de la liste et bien plus encore. Elle m'a remis deux plaques. Une pour devant. Une pour "le bout", comme elle a dit. C'est bien quand même le service en français.
- En Nouvelle-Écosse, on n'en a qu'une à l'arrière. Il m'en faut une à l'avant?
- Oui, c'est la loi.
- Mais j'ai rien pour accrocher une plaque à l'avant.
- Tu peux acheter le support pour la plaque...
- ... au Canadian Tire, dirent-nous en choeur.
C'est donc commode, le Canadian Tire.

lundi 18 juin 2007

52. Bob Baker et les autres

Bob Barker prend sa retraite. Je sais pas pourquoi je parle de lui parce qu'il me dérange pas trop. Ça me rappelle juste quelques souvenirs. Les premiers mots d'anglais que j'ai appris. Les Pinto qu'on trouvait pas chères parce qu'on connaissait rien de la dévaluation du dollar canadien. Le Rice-A-Roni qu'on ne trouvait pas dans nos épiceries mais qui avait l'air ben bon.

51. Des vestons roses

Je l'aurais reconnue, eussions-nous été sur la Place Saint-Pierre-de-Rome le jour du décès de Jean-Paul II. Nous nous étions donné rendez-vous dans un petit bistro de la rue Laurier et je me dirigeai directement vers cette femme que je n'avais pourtant jamais rencontrée. Son veston de cuir rose, ses verres choisis avec soin, son allure générale ne trompaient pas : je savais qu'elle était francophone.
Elle m'a contacté parce qu'elle avait vaguement entendu parler que je trempais dans des histoires de questionnement identitaire, les traits qui font qu'une personne développe une identité francophone. Ce serait pourtant si simple si nous portions tous des vestons de cuir rose pour nous distinguer. Ce n'est pas le cas : nous sommes en tous points identiques à nos colocs du vaste territoire canadien de langue anglaise. De plus, si par hasard on est « parfaitement » bilingue, le premier imbécile risque de s'y méprendre et de présumer que vous êtes un anglo.
Je m'asseois :
- Alors, mon cher monsieur, me dit-elle. C'est quoi l'identité francophone?

vendredi 15 juin 2007

50. Terre d'écueils

J'avais une petite heure à tuer et les bureaux du ministère de la Santé se trouvaient sur mon chemin pour me rendre à une réunion.
On m'avait dit que l'attente serait interminable et que je devrais signer de mon sang des documents auxquels il me faudrait apposer l'empreinte de mon gros orteil. Il n'en fut rien. J'obtins ma carte-santé de l'Ontario en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Soyons précis quand même : j'obtins la temporaire, celle qui n'a pas de photo. La vraie, celle qui comporterait la photo qu'on avait pris ce matin-là, arriverait dans deux semaines, me dit le préposé en baillant comme si c'était la chose la plus banale au monde.
Quelques jours plus tard, quatre exactement, je me rends à une location d'auto de mon quartier pour récupérer un véhicule que j'ai loué en ligne. Mon aînée est en ville et elle a plusieurs déplacements à faire qu'une auto facilitera.
L'agent est un jeunot zélé originaire de la Nouvelle-Écosse. Ça nous crée des liens aussi imprévus qu'insipides. Il me raconte qu'il a quitté sa mère et son coin de pays pour une fille d'Ottawa qui a une grosse maison. Je suppose qu'il voulait me dire par là qu'elle avait aussi beaucoup d'argent. L'un ne va pas sans l'autre dans les parages. Je m'en foutais un peu et je m'en fous encore beaucoup mais ce genre de détail incongru a tendance à me faire déraper un peu. Néanmoins, peu importe ce que sa conjointe avait de gros, il se trouvait là à me louer une bagnole.
- Votre adresse d'Ottawa n'est pas la même que celle de votre permis de conduire, me dit le petit futé.
J'ai songé pour un instant de feindre le grand étonnement et de lui dire que ce qu'il m'annonçait troublait mon équilibre psychique et que mes chakras s'en trouvaient tout débalancés mais je me retins. Je me contentai de lui confirmer qu'il avait effectivement raison.
- J'ai pas eu le temps.. trop occupé.. le ferai bientôt, lui marmonnai-je. Enwoèye, loue-moi donc la criss d'auto, pensai-je.
- Vous habitez ici depuis quand?
Là, je m'inquiétai qu'il allait recommencer dans les confidences malheureuses et j'avais envie de lui dire qu'on était pas accoudés à un bar mais qu'il était 8h du matin pis que j'avais besoin d'une auto.
- Janvier.
- Votre permis n'est plus valide, vous aviez 60 jours pour l'échanger, dit-il en refermant le dossier, fier de son petit effet.
Je devais vouloir cette auto désespérément car j'eus la présence d'esprit de lui dire que je n'étais permanent ici que depuis un mois, ce qui était énorme comme menterie mais génial pour dénouer l'impasse.
Il goba mon conte de fée et rouvrit le dossier, bien obligé de compléter la transaction devant un argument aussi massif. Je louai l'auto et me dirigeai directement au bureau des renouvellements de permis de conduire, prêt à déballer mon baratin au premier fonctionnaire venu.
Ce ne fut pas très long là non plus, même pas de questions. Clic la photo. Schlic-schlac le 75$ réglementaire. Pan-pan les estampes de circonstances.
Je me dois ici de mentionner, et de vous faire remarquer, à quel point les employés responsables des estampes semblent joyeux et un brin délurés. Ils ont un entrain hors du commun et apposent leur tache d'encre un peu comme s'ils avaient un petit orgasme succint et truffé de complaisance. La lèvre supérieure se raidit, les nerfs du cou sont tendus et... pan-pan. Une touche de condescendance, et elle me tend mes documents sur lesquels je lis : Permis valide, photo non-requise.
Je dis : Euh...
Habituée comme pas une à la surprise générale des types comme moi, elle m'explique qu'en Ontario, c'est correct de ne pas avoir de photo sur le permis temporaire mais que j'aurai le vrai dans quatre semaines, par la poste, merci monsieur, suivant, qu'elle a dit.
Je sortis de l'édifice avec mon permis de conduire temporaire que je rangeai juste à côté de ma carte-santé temporaire. Moi qui venais d'annoncer au mari de la grosse maison que j'étais maintenant permanent, je comprenais de mieux en mieux l'expression gros-jean-comme-devant.
Vers 21h30, vendredi soir, mes yeux ont sursauté dans leur cavité et j'ai réalisé que je n'avais plus aucune pièce d'identité avec photo puisque je n'ai pas de passeport valide. J'étais un sans-papier, en Ontario.
Dimanche après-midi, j'allais voir une pièce de théâtre co-écrite par une amie, traitant des réalités de l'immigration, telles que vécues par les fonctionnaires du ministère de l'accueil et telles que survécues par les immigrants eux-mêmes.
Je me suis dit qu'au moins, eux, ils avaient tous un maudit passeport, preuve de leur identité, photo à l'appui. Il pouvaient, eux, prendre l'avion pour North Bay ou même Sudbury, si l'envie leur en prenait. À moi, ce droit serait refusé sans discussion par un agent de bord en pleine puberté.
Terre d'accueil ou terre d'écueils?

mercredi 30 mai 2007

49. Un zèbre à onze heures

Je suis allé dans le pays voisin aujourd'hui pour un congrès syndical, celui du plus gros syndicat québécois, que je ne nommerai pas puisque je vais en parler et qu'on pourrait reconnaître les personnages, fictifs bien entendu. Wink, wink.
Je m'étais pointé là sur une obscure invitation dont je doutais un peu. J'étais quand même curieux de me mêler à cette grosse machine pour voir un peu de quoi il en retourne. Je m'étais imaginé assis dans la dernière rangée, discrètement, mine de rien. Ni vu, ni connu, genre.
Il en fut tout autre. Présentations, tata à la foule, assis au rang d'honneur, photographe à six pouces du nez pour marquer l'événement. Ils font les choses en grand ou ils ont pas de visite souvent.
J'ai quand même retrouvé toute une autre atmosphère que ce que j'avais vu jusqu'à maintenant. Disons que ça redéfinit le syndicalisme. À comparer ce que j'ai entendu, je dirais que partout ailleurs, les congrès équivalent à des soirées sociales.
J'ai quand même dû sourire par un effet du hasard qui m'a évité d'être trop dépaysé. En effet, comme entrée de jeu le président, voulant exprimer le besoin d'action a cité nulle autre qu'Edith Butler qui chantait, paraît-il, qu'il faut chanter pour ne pas disparaître. Un peu plus et je me serais attendu à ce que l'assemblée se lève pour swinger en chantant « Tu peux ben dormir tranquille, tidelida, tidelidou. »
J'ai été toute la journée fasciné par les expressions du président et de ses orateurs invités. Je me rends compte qu'on manque d'images à l'extérieur du Québec. Ou alors on ne réussit qu'à s'inspirer de l'anglais pour accoucher d'expressions pas tout à fait gracieuses. J'en ai répertorié quelques-unes aujourd'hui dont j'ai reconnu facilement la signification :
- s'arracher le poil de la noix (s'arracher les cheveux de la tête)
- s'étendre là pis attendre (ne rien faire)
- s'immoler devant l'Assemblée nationale (faire grand cas d'une situation et s'en faire le défenseur - NDLR inutilisable à l'extérieur du Québec, malheureusement)
- peinturer le salon quand la maison est en feu (probablement quelque chose à voir avec une mauvaise priorisation - inutile à l'extérieur du Québec car Patrimoine canadien subventionne la planification stratégique pour les francophones hors-Québec)
- se monter les gants blancs jusqu'aux épaules (un dérivé de se mettre des gants blancs mais comme l'orateur faisait dans les trois cents livres, l'image était plutôt troublante et j'étais tenté de lui dire qu'il aurait fait peur à n'importe quel interlocuteur avec des gants de petite communiante, pas besoin de les étirer ne serait-ce qu'au coude)
- être dans le trèfle jusqu'à la moitié des genoux (celle-là reste indécodable car 1) le trèfle ne pousse pas si haut 2) c'est quoi ça la moitié du genou? 3) hors-Québec quand on est dans quelque chose jusqu'au genou ou jusqu'au cou, c'est habituellement de la marde, terminologie qu'il me semble difficile d'interchanger avec le trèfle sans y perdre la nuance sémantique)
J'allais quitter sur cette note et je me suis souvenu du titre de ce texte. Un gars que je ne connaissais pas voulait probablement fraterniser et me faire sentir de la gang (s'il avait su le pauvre!). Il me dit : « Heille, eur'gar le zèbre à onze heures. » Bien que je comprenne tous les mots de la phrase pris séparément, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Comme il se doit quand on est nouveau dans la place, je lui souris comme un cave. Il insiste : « Eur'gar, eur'gar le beau ti-zèbre à onze heures, un ti-peu sur ta gauche. » Là, je regarde légèrement à ma gauche et je vois une greluche dans un minuscule chandail rayé noir et blanc mais qui épouse tellement ses formes volupteuses - et même celles qui le sont moins - qu'en effet, tout cela ressemble aux rayures d'un zèbre.
Les rayures étirées par la volupté se déforment, c'est bien connu.

jeudi 24 mai 2007

48. Porte et fenêtre sur l'extérieur

Je travaille de la maison, là-bas, cette semaine. Je ne suis pas tout à fait le genre à travailler de la maison parce qu'il y a trop de distractions. J'ai la chatte qui menace d'attaquer mon curseur à tout moment et le chien qui n'en revient pas qu'il peut sortir et entrer aussi souvent qu'il le veut. Il s'en donne à coeur joie, grattant à la porte comme si le paradis se trouvait de l'autre côté, laissant mon curseur immobile à chaque fois que je me lève de ma chaise pour lui prouver une fois de plus que de l'autre côté de la porte, il y a toujours la même chose : l'extérieur ou l'intérieur. Rien d'autre. Il est surpris à chaque fois de constater que rien n'a changé, que l'autre côté de la porte se ressemble toujours bien que ce ne soit pas certain qu'il s'en souvienne.
Je reviens à mon bureau pour trouver quelques feuilles par terre, la chatte ayant profité de l'immobilité du curseur pour l'attaquer, spinnant du même coup sur les documents auxquels je travaillais. Et tout ça avec une souris juste à côté qui ne semble même pas l'intéresser...
Autre distraction : la télé que j'aimerais bien avoir le courage de fermer. Mais comme j'écoute très rarement la télé (Je préfère dire écouter la télé mais vous comprendrez que je la regarde en même temps. Si je disais seulement que je regarde la télé, vous pourriez croire que je suis un idiot qui regarde une télé qui n'est même pas allumée. En fait, je ne sais pas ce qu'on doit faire d'une télé.), donc, disais-je, comme je ne l'écoute pas souvent, j'en profite. Je ne pitonne pas cependant. Bon, je pitonne au début pour trouver quelque chose d'intéressant mais c'est vite terminé tout ça. Je vois ensuite défiler Martha Stewart mais je n'écoute pas (je regarde la télé, allumée si vous voulez tout savoir).
Bush. Tiens, tiens...
J'avoue que je n'ai jamais vraiment prêté attention à ce que raconte Bush autre que ce que tout le monde sait déjà. Mais là, c'est une émission spéciale alors je me dis que je vais l'écouter pour voir. (J'écoute, je vois, bon. Vous avez compris.) Il parle des immigrants illégaux qui résident aux USA.
Mise au point : retenez que je n'écoute jamais Bush. J'ai déjà entendu dire qu'il déconne mais je n'en ai jamais été témoin moi-même en personne. Or, si en l'écoutant pendant un gros trois minutes, j'entends la chose suivante, est-ce dire qu'il déconne beaucoup ou n'est-ce vraiment qu'un effet du hasard?
Je le cite fidèlement car j'ai noté tout de suite. (Il y a un bon côté à être assis à un bureau en train d'écouter/regarder la télé.) Il a dit : "Anybody hiring someone illegally is against the law."
Ça vous en bouche un coin, hein?

mercredi 16 mai 2007

47. Vol de retour

Derrière moi, deux couples. J'en aperçois un du coin de l'oeil, je n'ose pas me retourner pour regarder l'autre, c'est-à-dire celui qui est juste derrière moi.
Les deux gars sont des copains. Celui que je vois est dans la cinquantaine. Maigrichon. Il doit fumer c'est certain. Ils sont tous les deux assis côté hublot. Entre eux, les deux filles, beaucoup plus jeunes. L'écart d'âge a quelque chose d'indécent.
Tous les quatre, ils forment une bande d'abrutis notoire.
Au rayon de la connerie, ils n'en manquent pas une. Ce sont les gars qui mènent le flot d'absurdités qui se déverse dans mes oreilles. Les filles se marrent comme si elles venaient de se piquer à l'acide et en redemandent, ce qui a pour effet d'encourager les deux crétins.
Je vous lance tout ça en vrac :
Crétin # 1 : J'ai chaud, je crois que j'va ouvrir la vitre.
Filles : (Elles rient à s'en fendre la luette.)
Crétin # 2 : Ouvre les juste un ti-peu pour pas faire rentrer les mouches.
Filles : (Elles se fendent la luette.)
Commandant : Nous volerons aujourd'hui à une altitude de 33 000 pieds.
Fille # 1 : Hein? Comment ça? Quand on est allé, on volait à 28 000 pieds.
Crétin # 1 (qui se sent interpellé par le commentaire) : Ben, c'est comme prendre la 20 ou la 40 pour aller à Québec.
Fille # 1 : Hannnnn...
Crétin # 2 : T'nez vous ben les filles, on rentre dans les nuages.
Filles : Hannnnn...
Crétin # 1 : Heille, c'est la grosse tempête de neige dewors.
Filles : (désintégration de la luette)
Et ça continue comme ça jusqu'à l'atterrissage où Crétin # 1 essaie de deviner à quelle porte l'avion va se garer. Je vous épargne tout ça.

46. À la recherche du spiritou

J'étais à Winnipeg où j'avais quelques heures à tuer avant mon envolée. Je suis allé marcher dans Saint-Boniface. Je ne sais trop pourquoi mais j'accorde une importance probablement démesurée à ce bastion francophone qui, dans mes fabulations romanesques, ouvre la porte sur l'Ouest.
J'y suis quand même allé déjà à quelques reprises mais là, j'avais du temps. J'ai lu tout ce qu'il y avait à lire sur Taché, Provencher et je me suis même promené dans le cimetière autour de tous ces noms français. Le seul hic, j'apprends que Saint-Boniface était un Anglais. Bon. Je ne sais pas trop quoi en penser mais je n'ai pas aimé ça que Saint-Boniface soit un Anglais.
Je me promène dans les ruines de la cathédrale. Ça doit être parce que tout le monde me parle de sa spiritualité que j'ai envie d'en avoir une. J'essaye bien fort de reconstruire les murs et le toit sans succès. Ce n'est pas ici que je serai foudroyé d'allégresse.
Avec moi dans les ruines il y a cette dame trop vieille pour être la mère des deux enfants qui l'accompagnent et trop jeune pour en être la grand-mère. Ils ont trois ans, trois ans et demi au grand max. Elle veut les prendre en photo mais il ne regardent pas l'objectif, tout occupés qu'ils sont à attraper les grains de pollen qui tournoient dans l'air. Elle jappe un peu après eux et les menace de je ne sais quoi s'ils ne se tiennent pas tranquilles pour la maudite photo.
Je décide d'entrer dans l'édifice faire un effort de recueillement (et m'éloigner d'elle). Je n'ai jamais été porté sur la chose mais je me dis que je peux quand même tenter ma chance.
C'est très invitant là-dedans et je songe un instant à m'allonger sur un banc pour faire un roupillon, ni vu ni connu. Mais je me souviens de mes ambitions spirituelles et me ravise.
Je reste là à ne pas bouger. Si la foi est pour tomber sur moi, mieux vaut rester immobile pour qu'elle ne me rate pas.
Entre un autre touriste, plutôt beau bonhomme. Je me ressaisi encore et me recentre sur mon chaste projet. Je ramasse le livre « D'une seule voix » qui traîne partout entre les bancs. Je me dis que je vais l'ouvrir et avoir une révélation, c'est certain. J'ouvre. C'est des chants. Dieu est comme-ci, Dieu est comme ça, tralala. Je suis un peu déçu.
Je reprends ma pose pieuse, c'est-à-dire que je ne bouge pas. J'entends la mégère beugler après ces deux petits garçons et ça touble le calme. C'est sans doute à cause d'elle que je n'ai pas encore été frappé d'un bon coup de spiritou.
Je regarde au fond de la nef et je me concentre sur le Christ en lévitation qui s'y trouve. Je me concentre mais je vois aussi la petite bonne femme à côté de lui qui lévite elle aussi mais avec une main tournée vers le haut et l'autre tournée vers le bas. C'est comme si elle jouait au Slynky mais pas de Slynky. Ça me déconcentre un peu. Mais qu'est-ce qu'elle fait là de toute façon, Slynky ou pas? De l'autre côté, une croix. On comprend que c'est là pour rappeler au Christ comment tout ça va se terminer. Mais la petite bonne femme, je ne comprends pas.
Je me concentre à nouveau sur le Christ qui lévite. Je me demande comment il fait pour tenir là. Décidément, j'ai de la difficulté à maintenir le cap sur mon état de grâce potentiel. (Après un bout de temps, je décide d'en avoir le coeur net à défaut de l'avoir de sanctifié. Je suis un peu déçu de voir deux grosses barres de soutien lui enfoncer le dos; comme si c'était pas assez d'avoir été crucifié.)
Je fais le tour et je vois une petite salle sur le côté. Je m'approche. Ça y est. À l'intérieur, la pièce est vide sauf pour une petite table basse sur laquelle repose un livre ouvert. J'ose mettre un peu de lumière, défiant sûrement les réglements de l'endroit mais convaincu que c'est le message que j'attendais. Je me dis que j'expliquerai tout ça au bedaud ou au curé et qu'on rigolera de tout ça ensemble.
Je m'approche; je suis fébrile. La table est basse, je suis obligé de m'agenouiller. C'est un autre signe, c'est certain.
Je commence à lire, ému. C'est le passage où Jésus est chez Simon et il y a une pécheresse qui l'embrasse, qui lui lave les pieds avec ses larmes et qui essuie tout ça avec ses cheveux. Et Jésus, il veut savoir pourquoi Simon il n'en fait pas autant.
Je sais pas pour vous mais moi j'en conclus que c'est pas à Saint-Boniface que je fais me fabriquer une spiritualité pour pouvoir épater les copains.
Je sors du lieu saint. Je demande au premier passant s'il n'y aurait pas un Starbucks dans le coin par hasard.

samedi 12 mai 2007

45. Des tulipes et des lilas

Il y a des matins qui vous font du bien. J’ai eu la bonne surprise de constater que le vol que je devais prendre aujourd’hui était bien plus tard que ce que j’avais imaginé. Je ne suis donc couché tôt avec un bon livre et avec l’idée que je pourrais traîner au lit à mon réveil. Juste ça, ça m’aide à bien dormir. J’ai roupillé sans interruption comme un chat au soleil. Ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. J’ai apprécié la quiétude de mon petit studio en me faisant un café, plaisir que j’ai trop peu l’occasion de me payer.
Je suis arrivé à l’aéroport avec une bonne heure d’avance, lu le journal, autre luxe que le rush de la vie ne m’offre pas souvent. (Ça serait-tu que je fais une vie de fou?!) Heureusement que j’ai bien dormi car j’ai un petit braillard dans le siège arrière qui s’égosille depuis que nous sommes dans l’avion. L’agent de bord a apporté un demi-litre de lait en demandant aux parents s’ils voulaient lui en donner. C’est bizarre des fois comme une question peut avoir une toute autre signification. Dans ce cas-ci, voulez-vous lui donner du lait? signifiait en réalité : « Les autres passagers sont sur la veille de sauter par les hublots, pourriez-vous calmer votre petit chieux? »

Je ne suis pas aperçu que le printemps était arrivé. Je suis arrivé ici dans le froid intense de l’hiver et j’ai passé les derniers mois à me demander ce à quoi ressemblerait tout ça, tel parc, telle rue, une fois les arbres parés de leurs feuilles. Je me suis souvent demandé comment le chicot planté dans le trottoir devant ma fenêtre se tirerait d’affaire quand la sève lui ravigoterait le tronc et les branches.
J’ai dû somnambuler les derniers jours car je me suis réveillé ce matin et j’ai tout à coup réalisé que tout ça était un fait accompli comme disent les anglos. Tout est vert. Là où on voyait raïte-trou, tout n’est plus que branchage verdoyant qui vous limite l’horizon. Toutes les plates-bandes éjaculent des tulipes dans le décor et je trouve curieux que je n’ai rien vu venir. D’habitude, je suis bon pour sentir venir ces choses-là.
Sur la route de l’autobus, j’ai vu mes premiers lilas. J’ai toujours eu un attachement particulier pour les lilas. Je crois qu’ils me viennent des lilas de mon grand-père, que je n’ai d’ailleurs pas connu puisqu’il est décédé quand j’avais un an. Sa maison était directement en face de celle où je suis né. La porte avant de la grande maison était flanquée de gigantesques lilas de part et d’autre; des mauvâtres comme il se doit mais aussi des blancs. Je ne me souviens pas qu’il y avait d’autres lilas blancs à Paquetville. Tout le monde apportait des lilas à sa maîtresse, l’enseignante bien entendu. À tous les débuts d’été, la maîtresse en question se retrouvait donc envahie de cette fleur qui donnait à la classe des airs de salon funéraire et à la principale intéressée des relents d’embaumée vivante. J’étais le seul à en apporter des blancs ce qui avait le don de la ravir et d’attirer des commentaires dont je m’enorgueillissais.
Ceux que j’ai vus ce matin était le long du Transitway, site bien moins enchanteur que la cour avant de mon aïeul.
Cette cour avait de particulier qu’elle accueillait chaque année la Fête-Dieu, cérémonie qui avait cessé bien avant ma naissance. Je n’ai donc jamais vu cette procession qui devait donner des airs pompeux au petit village où je suis né. J’étais fasciné par cette fête et par ce grand-père qui avait prévu sa maison et sa cour avant en fonction de cette célébration. Le balcon à deux étages de la devanture servait même d’autel et le petit pont qui la reliait à la rue principale (que les plus vieux appelait le chemin du roi - combien approprié pour la circonstance) était en fait destiné à permettre au curé qui marchait sous son dais de s’avancer cérémonieusement et, surtout, symétriquement vers le balcon/autel. Pas surprenant qu’il était facile de trouver des prêtres à cette époque car il devait y en avoir dans la foule qui enviaient le prélat de toute cette attention, attifé qu’il était de ses plus beaux apparats, protégé du soleil par le dais supporté par quatre paroissiens-sujets.
Mon grand-père, lui, préférait accueillir tout ce beau monde et avait construit sa maison avec cette démonstration en tête. Peut-être que je retiens ça de lui parce que moi aussi je préfère accueillir la parade que d’en être l’objet. Chacun son trip!

vendredi 11 mai 2007

44. Le tango d'OCTranspo

Ce matin, j'ai reçu un appel sur mon cellulaire. Je l'ai ensuite déposé sur mon bureau en me disant que je ferais bien de ne pas l'oublier. Plusieurs fois pendant la journée, je me suis dit que j'allais l'oublier au bureau. J'étais presque rendu à mon appartement quand j'ai réalisé que je ne l'avais pas. Je l'avais oublié au bureau.
Je suis donc retourné le chercher ce soir étant donné que je pars pour quelques jours. Le soir, les autobus sont beaucoup moins fréquents que le jour. J'ai mis un gros deux heures à faire le trajet aller-retour et ça m'a écoeuré un peu.
Ça m'écoeure aussi de ne pas trouver les mots pour décrire le mouvement des personnes qui sont précipitées vers l'arrière de l'autobus quand il démarre et qu'ils n'ont pas eu le temps de s'asseoir. Ce que j'aime bien de cette petite danse folle, c'est que tout le monde y passe. La petite madame toute pincée, l'homme d'affaire qui se prend pour un autre, l'ado nonchalant qui se crisse du monde. Tous, ils deviennent des pantins désarticulés quand l'autobus part et qu'ils ne savent plus ou s'agripper pour ne pas se câlicer à terre. C'est un spectacle que j'adore et je pourrais passer des heures à regarder les gens perdre le contrôle de leur corps au profit de la théorie du corps en mouvement qui reste en mouvement jusqu'à ce qu'une force extérieure.. blah blah blah

lundi 7 mai 2007

43. Aldo

Ça vous arrive des fois de ne pas savoir quoi penser? Ben moi ça m'est arrivé tout à l'heure.
Voilà. Je devais vivre un manque quelconque car je suis entré chez Aldo et j'ai demandé à la vendeuse (mignonne et gentille comme tout d'ailleurs) pour trois paires de chaussures, toutes que j'avais l'intention d'acheter pour de vrai.
La première, elle a dû aller chercher la pareille dans la vitrine alors elle s'est déchaussée pour aller se promener là-dedans et il y avait quelque chose de très sensuel dans sa façon de retirer ses chaussures. Bon, c'est pas pour ça que je voulais les chaussures mais quand même, ça m'aurait dérangé de l'avoir dérangé comme ça sans rien acheter.
Ça lui a pris du temps à rassembler les trois paires que je recherchais car après la vitrine, je crois qu'elle est descendue au sous-sol ou quelque chose du genre. J'avais du temps à tuer, disons, avant qu'elle arrive avec la camelote.
Alors je regarde ici et là des bidules de tout genre. Je prends un bracelet que j'aime bien et je regarde le mécanisme. Je l'essaie, je décide de l'acheter. Ce sera au moins ça de pris pour la belle petite vendeuse si les galoches ne me conviennent pas. Je regarde les colliers. Et là, je le vois.
Un chapelet.
Aldo vend des chapelets.
Y'a des ados qui achètent des chapelets chez Aldo.
Là, je me dis que ça doit pas être un vrai chapelet comme du temps de la fête de Sainte-Anne. J'essaye de me souvenir à quoi ça ressemble. Je me souviens vaquement qu'il devrait y avoir dix grains entre les gros grains. Il y en a dix. C'est bien un chapelet avec le Christ qui pend au bout et tout et tout. Un chapelet chez Aldo.
Bon. C'est pas que je suis religieux ou rien. D'ailleurs, pour les grains, je ne me souviens même pas parce que je ne crois pas que j'ai déjà récité un chapelet de prières. Si je l'ai fait, j'ai sûrement triché parce que je ne peux pas m'imaginer avoir autant de patience.
Bon. Peut-être que je m'inquiète pour rien. Je ne sais pas. Vous en pensez quoi vous des chapelets qu'on achète chez Aldo?

dimanche 6 mai 2007

42. Des hommes et des hommes

C'est dimanche et il fait un temps superbe ici. C'est le printemps. J'étais enfermé depuis vendredi dans un sous-sol d'hôtel pour une conférence mais c'est terminé et j'en ai profité pour me balader dans les rues de la ville.
J'ai vu une famille de Japonais avec la mère et la fille sur le trottoir qui aidaient le père à se stationner sur une rue vide. Elle le dirigeaient vers l'avant, vers l'arrière pour être certain qu'il soit bien entre les lignes blanches. J'ai pensé leur dire qu'ici on s'en fout et que comme il n'y a aucun autre véhicule à l'horizon, il peut bien se stationner tout croche pis qu'on s'en sacre-tu mais je n'ai rien dit. Je me suis dit que dans quelques générations, ils finiraient bien par comprendre.
J'ai suivi une mère qui poussait un landau avec son fiston de 3 ans qui marchait à côté. Il aimait le bruit des semelles de ses souliers neufs sur le ciment du trottoir et les laissait traîner. Alors elle s'est mise à lui dire « Non Sébastien, lève tes pieds pour marcher. Faut pas les laisser traîner. » De temps en temps, il essayait quand même. Je crois vraiment que ça lui plaisait bien d'entendre ses semelles traîner sur le ciment du trottoir. Mais elle enfilait son refrain interminable : « Non Sébastien, lève tes pieds pour marcher. Faut pas les laisser traîner. » J'avais le goût de lui dire que peut-être que Sébastien aimait bien entendre le bruit de ses semelles sur le trottoir mais je n'ai rien dit. Je me suis dit qu'un jour Sébastien aller lui coller ses semelles au cul et lui demander s'il les avait levé assez haut ses pieds ou si elle voulait qu'il les lève encore plus haut.
J'ai vu des personnes noires descendre d'un autobus de touriste pour visiter la colline parlementaire. Ils portaient tous des gros chandails de laine qu'ils avaient peut-être acheté à l'aéroport ou que l'agence de voyage leur avait fourni. Je n'ai rien dit, rien pensé. Juste peut-être qu'ils allaient sans doute avoir chaud.
À la fin de la conférence, je suis sorti bruncher avec deux collègues. On ne se connaît pas beaucoup et c'était une bonne occasion pour une rencontre moins formelle que les occasions qui se présentent au bureau. En marchant vers le resto, je me retrouve pogné dans des discussions d'homme : le hochey et les belles femmes qu'il y avait au congrès. Ça promet.
On arrive au resto. On commande. On fait un commentaire sur les boules de la serveuse. On exclut la personne qui parle, vous l'aurez deviné.
Inévitablement, on finit toujours par ma poser la question au sujet de ma maison et de mes enfants. C'est normal. Je commence toujours en disant que j'ai gardé ma maison là-bas pour que ma fille puisse continuer d'y vivre. Invariablement, on me demande si elle y vit seule. À chaque fois, je réponds qu'elle vit avec mon copain. Cette fois-ci, il y a une variable :
- Le chum de ton ex?
- Non, mon chum à moi.
- Ahhh.. T'as un ami qui s'occupe d'elle.
Bon. Je pourrais en rester là et ne pas apporter d'autres précisions. Mais ça pourrait avoir l'air de cacher quelque chose.
- Non, c'est mon chum à moi. Le gars qui partage ma vie.
Alors là, il s'est passé quelque chose d'étrange. Ils semblent avoir cru que je leur faisais une grande confidence. Une grande révélation du genre de celles qui en attirent une autre. (Moi, je répondais juste le plus clairement possible à la question initiale « Ta fille vis-tu toute seule dans ta maison? »)
Celui qui était témoin du dialogue s'est senti interpellé le premier; l'autre suit tout de suite après et confient des choses très personnelles qui battent à plate couture mon pseudo-coming-out. Tout ça finir en thérapie de groupe qui me mettent un peu mal à l'aise. Moi, je voulais juste répondre à la question.
Mais je pense que ça leur a fait du bien aux gars. Ils ont même avoué qu'ils n'avaient jamais parlé de tout ça. Je me suis bien retenu d'ajouter que je ne leur avais pas confié un grand secret; ça aurait jeté comme une douche froide sur ce qui fut quand même un moment intense.
À un coin de rue, je me sépare des deux gars qui retournent à l'hôtel. Les deux me font un gros hug que je trouve touchant, comme pour me dire que tout est ok. Et là, ILS se font aussi un gros hug et moi, le cave, je dis : « Mais vous retournez pas à l'hôtel ensemble? »
Alors là, c'est euh h eu hheumm... Celui qui avait initié le geste précise : « C'est juste pour pas oublier de le faire quand on va se séparer tout à l'heure. »
Fiou. L'honneur est sauvé. Ils retournent vers l'hôtel tous les deux. Je les salue de la main. Ils font le coin et disparaissent.
Je parie qu'ils sont revenus aux boules de la serveuse ou au hockey.

samedi 5 mai 2007

41. Vertige, trémolo et tournis

Ma crisette se poursuit... un vertige identitaire, comme le disait un collègue. Il est réputé pour créer des néologismes de son propre crû qui vous en bouche un coin parce qu'il vous faut quelques bonnes minutes pour tout remettre en contexte et finalement comprendre ce qu'il raconte.
Vertige identitaire, donc, me convient bien ce matin. J'arrive dans la grande salle où se tient une conférence. Une vieille connaissance de l'Ouest me présente à son voisin de table : « Il travaille à Ottawa mais c'est un Acadien. Comme dirait mon père : C'est du bon monde comme nous autres. » Trémolo identitaire.
Le conférencier se pointe. C'est un Québécois qui a fait toutes ses études aux États-Unis et sa biographie est la plus longue de toutes celles du cahier de la conférence. Il est docteur au cube. Il s'est doté d'un petit accent british qui colle bien à son érudition toute américaine.
Je n'ai franchement aucune idée de ce qu'il a raconté. Je sais qu'il a grafigné Bush de temps en temps mais c'est bien la mode chez les intellos. Il a raconté des histoires d'horreur qui se déroulent dans les écoles américaines mais il regarde peut-être trop les nouvelles ou les reality shows.
Ce que je retiens de lui, c'est qu'il a gardé quelque chose de français, malgré son parcours on ne peut plus anglais. Il doit faire dans la soixantaine mais il est resté mince (les Amerlos sont gros; tout le monde sait ça). Il a les cheveux longs, teints de toute évidence, aux reflets brun roux, ce qui contrevient tout à fait à l'image du grand sage titulaire de chaire universitaire. (C'est difficile d'imaginer un grand chercheur sur la chaise d'une coiffeuse qui lui applique sa teinture en lui racontant le dernier Harlequin et en se frottant les seins tout partout.) Et il porte des petites lunettes à la Harry Potter alors que les Américains se passent les montures de génération en génération jusqu'à ce qu'elles reviennent à la mode de temps en temps.
Bref, il a conservé une partie de son identité francophone malgré lui. Tournis identitaire.

vendredi 4 mai 2007

40. Une vache ou un nombril?

Je participe à une conférence ces jours-ci. J'ai revu une amie que je n'ai pas reconnu tout de suite. Je la voyais marcher et je pensais : Elle marche comme mon amie. Ensuite, elle m'a fait un petit salut de la main et j'ai vu que c'était elle.
Elle s'est rasé la noix. Ça surprend un peu car elle avait de beaux cheveux. (Elle les a probablement encore mais ils ne paraissent pas.) Elle m'a dit qu'elle avait fait ça pour l'environnement car elle les teignait et elle ne veut plus les teindre. Au lieu de se taper la repousse, elle a décidé de raser. Ça va repousser gris.
Ça m'a pris un peu de temps à m'habituer mais j'ai focusé sur les trous qu'elle a partout sur les oreilles et ça m'a remis dans le bain. Mon amie, elle a des trous partout sur les oreilles avec des boucles, des trucs qui pendent partout et qui les lui transpercent de bord en bord. (Faut voir pour comprendre, c'est difficile à expliquer.)
Elle m'a parlé de shakras et d'autres machins spirituels auxquels je ne comprends pas grand chose. Mais ça ne me dérange pas de ne pas comprendre car mes shakras, ils ont l'air de bien se débrouiller sans mon aide et s'ils ne me font aucun signe, c'est que tout va bien.
À un certain moment, on a parlé de langue et de culture. Les minoritaires, on aime bien tirer la langue et la culture à bout portant dans une conversation. Ça rassure, surtout dans un méli-mélo de shakras.
Moi, je suis resté accroché là-dessus. Car je vis un petit conflit intérieur.
La langue, ça va. Je parle français et je suis Acadien, je crois l'avoir mentionné. Ça m'attire les conneries au sujet de l'accent de temps en temps mais bon. La semaine dernière, on était trois Acadiens. Le gars, il nous dit : Ahhh.. je vois que vous avez une belle accent! Tous les trois, on s'est télépathié le même message : Ahhh.. je vous que vous êtes pas fort avec le genre des noms!
Mais on l'a pas dit. C'est aussi ça être Acadien. On a souvent des bonnes réparties mais on se les garde pour soi.
J'ai donc accepté que je parle une langue commune à d'autres qui croient en posséder les droits d'usage et qui ne peuvent s'empêcher de commenter quand on y déroge, selon leurs normes, pas toujours justes d'ailleurs. (Pour ce qui est du genre en tout cas.)
Mais la culture, c'est une autre affaire. Il m'arrive souvent de penser que je ne l'ai pas en commun avec ceux qui parlent ma langue. Est-ce une histoire de minoritaire / majoritaire? Sais pas.
Si je me tire d'affaire avec la langue, je suis maladroit dans la culture de l'autre. Et l'autre est maladroit dans ma culture. Bref, on se blesse. On parle la même langue mais on ne l'utilise pas dans la même culture. ou dans le même esprit.
Tous les filles de la famille de ma mère ont émigré au Québec dès qu'elles en avaient l'âge. Ma mère compris. Elles allaient travailler dans des « maisons privées » que les congrégations religieuses équipaient en bonnes servantes acadiennes, moyennant une cotisation aux oeuvres qu'elles chérissaient. Ma mère est une des seules qui a épousé un gars de son village; les autres s'étant toutes fait engrosser par un Québécois une fois rendu là-bas.
Tous les étés, ses sept soeurs déboulaient littéralement du train, saoûles sans bon sens parce qu'elles avaient fait le trajet assises au bar, suivies de leur marmaille dont elles venaient par la même occasion se débarasser pour les mois d'été. Fait trop chaud à Montréal, qu'elles disaient. Elles repartaient donc quelques jours plus tard, toujours aussi saoûles parce qu'elles avaient passé leur temps dans le frigo de mes parents, au point que mon père devait faire un inventaire pour être certain qu'elles étaient toutes à bord quand le train s'ébranlait. En laissant derrière elles leurs rejetons montréalais que mes parents nourriraient et entretiendraient pour l'été. Ma mère disait qu'elle les torchait, mais ça c'est une autre histoire.
Mon cousin Serge est tombé sur le cul quand il a vu une vache. Il n'en avait vu qu'en photo et s'imaginait que ça ne pouvait être plus gros qu'un chien. (C'est vrai que sur la rue où il habitait, le plus gros animal qui soit était sans doute un chien.) Personne n'a ri de lui.
La première fois où mon cousin Serge a entendu le mot «nombourri » pour «nombril», il a tellement ri que nous pensions tous qu'il ne s'en remettrait pas.
Une vache ou un nombril? La langue ou la culture?

lundi 30 avril 2007

39. L'habit fait le moine

Je suis ailleurs pour la soirée et j'ai fait un peu de route pour m'y rendre. J'aime bien la route parce que c'est relativement peu demandant et ça permet de penser. D'ailleurs, ça m'a fait penser à ce blogue alors m'y voilà après un mois d'absence.
Faut dire que c'est pas évident d'écrire pour le cyberespace. J'aimais bien quand les copains lisaient. Mais je suis déménagé pour des raisons que j'ai déjà expliquées mais pas encore digérées.
En fin de semaine, je me suis tapé la Sainte-Catherine et j'ai fait des achats un peu débiles financièrement mais les cartes de crédit sont faites pour ça parait-il. J'aime bien ce que j'ai acheté et c'est important parce que je crois que je vais les aimer longtemps; assez longtemps pour quand viendra le temps de les payer. Je compte là-dessus en tout cas.
Le gars qui m'a vendu le complet, il était plutôt gêné. Il avait l'air soulagé que le complet me faisait bien et qu'il n'avait pas besoin de retouches. Je crois qu'il aurait pas su quoi dire s'il avait fallu qu'il me fasse le coup d'essayer de me le vendre. Mais je l'aimais bien parce qu'il était pas tannant comme vendeur. Les vendeurs gênés ne sont pas tannants, c'est une théorie qui en vaut bien une autre.
Je crois qu'il aimait bien que je lui demande rien. Comme ça, il avait pas besoin de rien me dire. Mais ça l'a mis à l'aise, je crois. Les gens qui n'aiment pas parler, ils aiment bien qu'on leur fiche la paix. Quand j'ai eu fini de payer, il m'a dit qu'il aimait bien le complet que je venais d'acheter. Il m'en a montré un autre qu'il aimait bien. Il m'a confié, toujours sans me regarder, qu'il regrettait d'avoir porté un complet trop ordinaire pour sa graduation. "Un complet de chez Moores, ça se peut-tu?" qu'il m'a dit. "Y'a des gars qui en avaient des rouges, des jaunes, des suits flyés. Moi, le cave, j'avais un truc de chez Moores".
J'en ai conclu qu'il devait avoir dix-neuf ans s'il avait terminé l'an dernier. À moins qu'il ait fini son cégep, alors là il aurait plutôt dans les vingt et un.
Mais c'était difficile à dire parce qu'il avait toujours la tête baissée et il me regardait jamais.
Je suis sorti du magasin et je marchais sur la rue. Ça me faisait un peu chier qu'il aimait pas le complet qu'il portait à sa graduation. C'est comme rien qu'il va avoir des photos pour le lui rappeler toute sa vie. Le soir, j'ai repensé à son complet de chez Moores. Je crois que les gars de dix-huit ans (bon, peut-être vingt) devraient tous porter le complet qu'ils veulent pour leur graduation. Ensuite, j'ai pris quelques verres pour oublier tout ça.

mercredi 28 mars 2007

38. Ces années perdues

Hier soir, avec un copain et deux bouteilles de vin, j'ai adhéré à la théorie que les années où on a oublié de vivre ne comptent pas. Bon, physiquement on les fait. Mais mentalement, il faut les soustraire puisqu'elles ne comptent pas.
Ce soir, j'ai soupé avec un copain de seize ans et je célébrais mes trente-trois ans. On faisait un duo plutôt incongru mais à cet âge, on s'en sacre un peu.
Hier soir, à l'épicerie, il y avait une gentille petite vieille devant moi et elle voulait désespérément qu'on lui échange un billet de cent dollars pour cinq vingt piasses. La caissière à qui on avait affaire n'avait pas assez d'argent dans son tiroir-caisse. Tout le monde a essayé de l'aider et moi aussi en lui suggérant d'aller au comptoir des alcools. Elle était toute mignonne avec son rouge à lèvres et son billet de cent dollars dans sa petite main frêle.
La vieille maudite est partie avec trois de mes sacs d'épicerie. La badluck me suit comme une plaie qui ne lâche pas.
Pourtant, on dirait que la chance est en train de tourner. Ce matin, l'autobus passait au bout de ma rue quand je faisais le coin. Je commence à être habitué et je savais que ça voulait dire attendre un autre quinze minutes. Ben, je me suis hâté un peu. Arrivé au coin, l'autobus est là à l'arrêt, quatre voies plus loin. Je regarde à gauche, à droite. Pas d'auto. Je traverse la rue même si le petit bonhomme blanc n'est pas allumé et que la grosse main rouge me fait un finger discret. Bien sûr, l'autobus se met en branle. Et devinez quoi? Il m'a vu et il a arrêté son foutu autobus pour me laisser monter.
La vie est belle quand on a trente-trois ans.

lundi 26 mars 2007

37. Soir d'élection

lundi 26 mars 2007

J'écoute les nouvelles en arrivant du bureau ce soir. J'ai trois ou quatre pensées assez claires :
- Anna Nicole : je pense que je m'en sacre.
- Elton John a soixante ans : je pense que ça me dérange un peu.
- Britney Spears a mangé des sushis : je me demande comment on a réussi à faire une nouvelle avec ça.
- La soirée des élections au Québec : je crois que j'ai pas le choix de m'y intéresser.
Je pitonne un peu en attendant la fermeture des bureaux de scrutin. C'est Virginie avec le gars qui était le chum crotté de la fille punk mère célibataire. Émilie que je pense qu'elle s'appelait. Lui, il a pas changé une miette mais dans Virginie, il est le directeur de l'école. Comme quoi tout est possible.
Je retourne aux élèctions, c'est Bernard Derome. Lui, il a pas changé non plus. Sauf qu'il a pas changé de job non plus. Qu'est-ce qu'on va faire quand il ne sera plus là pour animer les soirées d'élection?
On récapitule la campagne et de temps en temps, on voit les affiches sur les poteaux de téléphone. Tous les libéraux ont le poing sous le menton pour la photo, genre Ashley Rockwell. Tous les candidates, faut le faire. Même pas un de la gang pour dire " non les gars, on va avoir l'air de twits ". Assez pour que j'aurais pas voté pour eux si je vivais au Québec. Moi je voterai jamais pour un parti qui prend des photos de gang le poing sous le menton. Ni le doigt dans le nez d'ailleurs.
Les élections au Québec, j'écoute ça car je suis francophone minoritaire. Nous, éparpillés sur le reste du pays, on l'aime bien la menace séparatiste. On aime la menace car c'est elle qui nous garde vivants. Si les Québécois cessent de vouloir se séparer, on est cuits. Si les Québécois concrétisent la séparation, on est faits à l'os. Harper va se rouler par terre et probablement éructer de plaisir.

vendredi 23 mars 2007

36. Quand la chance tourne

vendredi 23 mars

La semaine dernière, je brunchais avec une nouvelle amie qui trouvait que j'avais beaucoup de chance. Pas juste être chanceux, mais une vraie chance au sens le plus crasse du mot, dans le genre de chance de l'expression " la chance pendue au cul ".
Et c'est vrai, que vu comme ça, je me trouvais plutôt chanceux, de ce type de chance là. Du coup, je me suis acheté un billet de loto. Je me souviens quand même avoir eu un curieux frisson quand elle m'a dit ça, car tout le monde sait bien que la chance, la vraie chance, c'est un nuage éphémère dans lequel on marche pour quelques jours.
Et bien il est vraiment passé. La chance est partie, le nuage est resté. Bien campé juste au-dessus de ma tête.
Ça a commencé par les pantalons qui ont tenté de dégringoler jusqu'en Australie. Les freins de l'auto. Le téléphone de l'ex. Pis hier, j'ai perdu vingt piasses juste comme ça. L'ex s'acharne et n'a pas trouvé drôle ma réflexion sur les ex en général, d'où le déménagement de mon blogue ici qui est devenu un blog, soit dit en passant.
Je ne veux pas me servir de mon blogue pour cracher du venin à droite et à gauche. D'abord, ce ne serait pas amusant du tout et je sais très bien que quand on prend une position négative par rapport aux choses, on s'y enlise immanquablement. (J'ai l'image d'un homme dans la position du lotus sur une mare de sables mouvants et je vous la partage. Tiens.)
Bon, je m'habille et je fais mon petit bagage pour une fin de semaine à Montréal. Réunion. Sortie. Magasinage.

jeudi 22 mars 2007

35. Vive le centre d'appels

mercredi 21 mars 2007

Qui eût dit qu'un étranger dans un centre d'appel peut faire votre journée?! Qui vous appelle à l'heure du souper, de surcroît?!
Ma journée a mal commencé et j'ai su vers 7h30 que j'étais sur une mauvaise veine. Une journée de merde, quoi.
Ici, l'espace est réduit. Pour réussir à mettre quelques pantalons dans le petit placard du petit coin qui me fait office de chambrelette, j'ai acheté des cintres au mécanisme assez ingénieux - faut le dire - qui comportent un petit crochet qui permet d'en accrocher un autre à côté, un peu plus bas. Ce dernier est lui aussi muni du fameux crochet, ce qui permet d'accrocher un autre pantalon un peu plus bas. Vous me voyez venir : il suffit de découper un trou dans le plancher et de creuser un tunnel pour accrocher des pantalons en cascade jusqu'en Australie à partir d'un seul cintre qui n'occupe que quelques centimètres sur la pôle principale.
Ben ce matin, j'en avais trois et ils se sont tous crissés à terre. Mauvais signe.
Je sors dehors. Ça fait une semaine qu'on nous annonce du plusse quinze mais il fait encore du moins vingt. J'arrive à l'auto, toujours celle d'une amie, Bérangère de son petit nom (l'auto, pas l'amie). Elle en a mare du frette, c'est bien évident. Plus d'odeur de parfum léger. Elle s'ennuie de son garage chauffé, tous ses joints le crient. J'arrive à la première intersection : plus de freins. Elle est écoeurée la Bérangère, pas-à-peu-près.
Pour finir ma journée au bureau, un appel de mon ex. Plutôt déprimant. Ceux qui vous racontent que ça va bien avec leur ex, ils se foutent de votre gueule. Ou alors ils disent n'importe quoi.
Je rentre à l'appart bien décidé à ne pas en ressortir avant demain matin. Sauf pour aller bouger Bérangère comme je fais à tous les soirs. Il y a bien du stationnement au bout de ma rue mais toutes les places sont prises par le club de curling du coin (ou le château des deux princesses, si vous préférez). J'attends donc que les ti-vieux aient fini leur dernière partie pour rapprocher l'auto. Heureusemement, ils se couchent pas tard.
À peine entré, ça cogne à la porte. Ça cogne jamais à la porte. C'est la première fois. C'est un petit bonhomme qui tient une tablette à pince. Il est nerveux. Il a peut-être peur de se pogner un doigt dans sa tablette à pince. Mais je suis nerveux moi aussi. D'abord ça va mal depuis ce matin; secundo, ça cogne jamais à ma porte.
Il me demande si je suis un client de Rogers. Oui, que je dis. Il me demande si j'ai l'internet. Oui, que je dis, suspicieux. Je me rassure : pour la première fois de ma vie, je n'ai pas trafiqué le câble. Il me demande si j'ai le câble. Oui, que je dis. Si j'ai un cellulaire. Oui, que je dis. Et là, il me dit que Rogers l'envoie pour me remercier d'être un si bon client. Il me remercie et il s'en va en me remerciant à nouveau. Je sais pas quoi dire alors je ne dis rien.
J'ouvre mon courriel. C'est une lettre de Rogers pour me remercier d'être un si bon client. Il semble que j'ai payé mes factures le mois dernier et que Rogers est bien content. La journée va mieux pour Rogers que pour moi.
Et là, vous me croirez pas. Mais bon, je vous le dis quand même.
Mon cellulaire sonne, tidelidi, tidelida. C'est une femme cette fois. Comme elle me contacte sur mon cellulaire de Rogers - vous me suivez - elle SAIT que je suis un client de Rogers. Alors, avant que j'aie le temps de lui dire quoi que ce soit, elle me remercie. Alors je pars d'un grand rire. Je lui raconte que je viens d'ouvrir un lettre de remerciement et que le petit bonhomme vient de cogner pour me remercier.
- Coudon, j'suis-tu votre seul client? La seule poire qui fait affaire avec Rogers?
La voilà à rire elle aussi sauf qu'elle ne peut plus s'arrêter et qu'elle a un rire communicatif (Rogers fait dans la communication après tout.) Plus elle rit-communicatif, plus je ris moi aussi.
Finalement, la journée ne s'est pas trop mal terminée. Merci, Rogers!

34. Bilingue

lundi 19 mars 2007

Depuis que je vis ici, je me questionne beaucoup sur la coexistence des deux langues dans ce pays tout croche. Je vois des choses auxquelles je ne suis pas habitué. Deux francophones qui se parlent en anglais parce que c'est la langue de travail. Des francophones qui me parlent à moi en anglais parce que.. parce que.. c'est plus facile? Le hic, c'est que moi qui suis nouveau ici, je ne sais pas s'ils sont francophones ou non. Pas évident de leur répondre en français quand on ne sait pas s'ils comprennent.
Je me surprends moi-même à parler anglais à des francophones. À l'arrêt d'autobus :
- Do you know when is the next number 8?
- Triiie minute.
Pis là, je m'excuse quasiment mais je pouvais pas savoir. Et j'ai pas l'habitude de prendre le risque parce que tomber sur un francophone à Halifax, ç'aurait été aussi probable que d'être foudroyé sous un soleil de plomb sur une plage déserte. Ici, c'est plus commun mais j'ai pas l'habitude.
Il nous faudrait un trait physique distinctif pour se reconnaître. Un code zébré dans le front. Quet'chose. Je vais y penser.

33. Pit-pit les ti-z-oiseaux

11 mars 2007

La passion est une promesse d'éternité.
Mon père était un homme passionné, à sa façon, et il serait mort de honte s'il avait su qu'il serait un jour affublé d'un tel qualificatif par le cadet de ses enfants. Les hommes de sa génération n'auraient jamais voulu que ça se sache et il aurait perdu tout crédibilité autour du poêle dans le garage à André à Moïse, l'équivalent de l'époque dans mon village des rencontres politico-sociales des Tim Horton d'aujourd'hui.
C'est néanmoins l'héritage le plus précieux qu'il m'a laissé.
Les problèmes cardiaques de mon père avaient commencé quelques cinq ou six ans avant son décès. Il n'en parlait pas trop; en fait, je ne sais même pas s'il s'était abaissé à aller voir un médecin. Néanmoins, il avait de lui-même ralenti ses activités et s'était petit-à-petit départi de certains biens, les activités qui les accompagnaient prenant discrètement le bord du même coup. Ce fut d'abord le chalet dont il devait pelleter la toiture en hiver. Ensuite, sa " terre-à-bois " dont il ne pouvait plus rien tirer. Sa motoneige, pour éviter de rester pris quelque part. Son VTT, ce qui allait de soi quand la terre où il se promenait a été vendue. Il s'était construit un atelier pour bricoler mais dût se résigner à ne plus y retourner à cause des marches qu'il fallait monter pour y accéder.
Comme je vivais assez loin de chez mes parents, je téléphonais régulièrement le dimanche soir pour prendre des nouvelles. Inévitablement, c'est ma mère qui répondait. Le téléphone, c'est une affaire de femme, tout le monde sait ça. Inévitablement, ma mère me dressait un portrait des plus noirs de l'état de santé de mon père qui terminait toujours par "Ben vite, y pourra pu conduire son char. Ça va l'achever."
Pourtant, quand je réussissais à avoir mon père au bout du fil, il semblait toujours maintenir un moral de fer et quand une de ses activités disparaissait, il s'en recréait une autre plus à la mesure de ses forces pour la remplacer.
Par un bel avant-midi ensoleillé, j'étais allé les visiter. Il était curieux d'entrer chez nous et de retrouver à peu près toujours le même scénario : ma mère en train de brasser quelque chose devant l'évier et mon père se berçant dans le fauteuil devant la porte vitrée de la cuisine. Elle m'accueillait toujours comme si j'étais une brebis égarée qu'elle venait de retrouver et babillait à m'en donner le tournis, si bien que j'appréhendais toujours l'accueil même si je n'arrivais jamais à savoir exactement pourquoi j'en ressortais avec un vague sentiment de culpabilité. Ma mère était subtile comme ça.
Passé l'épreuve des bienvenues, je me dirigeai vers mon père qui n'avait plus l'énergie de sortir de son fauteuil pour faire quelque chose d'aussi inutile. D'autant plus que je pouvais bien plus facilement me rendre à lui. Ce jour-là, il m'a encore impressionné par son optimisme face à la vie en général et face à sa condition en particulier :
- Regarde-moi ça. Je me suis fait planter des fleurs autour du patio et des mangeoires pour les oiseaux. C'est pas croyable le nombre d'espèces d'oiseaux qui viennent manger et butiner les fleurs. Moi qui ai passé ma vie dans le bois, je pensais qu'il n'y avait que cinq ou six sortes d'oiseaux. J'ai jamais eu le temps de les regarder, faut croire. Ben là, j'ai le temps pis j'en ai compté au moins deux douzaines de sortes à date. C'est pas croyable!
- Ben oui, ben oui, enchaîna ma mère en rudoyant la vaisselle dans l'évier. Les fleurs pis les mangeoires, ça attire les oiseaux pis le patio est plein de marde!
Les oiseaux ou la marde? C'est à chacun d'entre nous de décider ce qu'on veut bien voir. Moi, j'ai choisi les oiseaux même si je regarde toujours, quand même, où je mets les pieds.

32. Premières fois

mercredi 7 mars 2007

Lundi, une amie qui partait dans le Sud m'a laissé son auto. Pour deux semaines. Au sortir du bureau ce soir-là, je retrouvais le feeling de mes seize ans quand mes parents m'avaient laissé l'auto pour la première fois.
Je monte à bord. Son parfum, dont j'ignore le nom mais que je reconnaîtrais parmi mille, est bien présent. Léger comme tout, juste assez pour que je m'imagine être le seul à pouvoir le percevoir. Je hume à fond : les petites drogues légères n'ont jamais fait de mal à personne.
J'examine les contrôles. Elle m'a bien averti : Bérangère est une coriace. Elle a de l'âge, aucun gadget si ce n'est une alarme capricieuse qui part au moment où on s'en attend le moins. J'ouvre la radio. Quand même...
On annonce pour mardi matin un mercure batifolant dans les -40C. Bérangère a besoin d'avoir une bonne batterie.
Souper ce soir avec une amie dont l'amitié remonte au début de ma carrière, à mon premier emploi en fait. On se retrouve comme si c'était hier alors que la terre a cesser de tourner plusieurs fois depuis. Elle me raconte que je suis son plus vieil ami, celui qui la connaît depuis le plus longtemps. Je sais pas trop ce que ça veut dire mais c'est la première fois que je suis le plus vieil ami de quelqu'un. J'aime bien ça les premières fois.

31. Shopping et culture

dimanche 4 mars 2007

La majeure partie de la journée d'hier a été consacrée à trouver des bottes pour ma fille ainsi que de nouvelles lunettes. Après un certain temps, j'ai fini par comprendre qu'elle cherchait exactement les mêmes bottes qu'elle portait et des lunettes en tout point semblables à celles qu'elle avait sur le bout du nez. Pour un père qui vient de changer d'emploi, de ville et d'orientation sexuelle, c'est assez désarmant.
Nous sommes ensuite allés visiter l'exposition de Ron Mueck au Musée des beaux-arts. Les oeuvres avaient quelque chose de dérangeant par le réalisme de l'objet présenté hors des proportions de l'imagination. On craignait toujours que l'un des personnages se réveille malgré sa petitesse ou son gigantisme.
Ce matin, visite à l'université que songe à fréquenter ma grande cet automne. La gentille agente de communication préposée au recrutement nous a fait faire une grande tournée de l'établissement. Au début ça allait mais au centième "Moi, je te dirais que...", j'ai commencé à craindre un fou-rire incontrôlable qui aurait pu gâcher la visite car j'aurais eu de la difficulté à l'expliquer, je suppose.
Visite ensuite au Salon du livre de l'Outaouais ou nous avons cassé la croûte. La préposée au nettoyage était un boute-en-train et une blague n'attendait pas l'autre : "Mange ta main, garde l'autre pour demain" qu'elle disait aux petits enfants pour les faire rire.

30. En quittant le bureau

samedi 3 mars 2007
Posté le 3 mars 2007 à 10:54 - 0 Commentaires - Poster Commentaire - Lien
Je suis resté tard au bureau hier soir en attendant que le vol de mon aîné donne des signe qu'il se rendrait à destination. Mon bureau étant plus proche de l'aérogare que mon appart, ça me semblait logique.
Il ne faisait pas très beau hier et le vol en question a été retardé à quelques reprises pour finalement annoncer un départ et une arrivée éventuelle vers les 20h et quelques poussières. J'avais donc prévu de quitter le bureau vers les 19h, amplement de temps pour me rendre l'accueillir.
En sortant, je suis passé aux toilettes, prévoyant comme tout. Il était précisément 18h59 quand je suis entré dans l'endroit destiné à recevoir mes filtrations rénales. Une minute plus tard, précisément, c'était le blackout total. Je n'y voyais absolument rien et la seule chose que je pouvais reconnaître à tâtons, ben c'était ce que j'avais déjà dans les mains à ce moment-là. Qui n'était pas d'une grande utilité pour l'occasion, entendons nous là-dessus.
Une fois la surprise passée et avec l'idée de m'orienter vers l'endroit où il y habituellement une porte pour me sortir de là, je rangeai ce qui m'occupait à ce moment et je commençai à entendre de plus en plus distinctement un petit bib-bib assez commun pour savoir qu'il déclencherait après quelques instants une alarme quelque part dans la ville.
C'est que, voyez-vous, personne ne m'a dit que les lumières se ferment et que le système de sécurité se met en branle à 19h. À 19h01, c'était une sirène qui hurlait dans le quartier, ameutant probablement nos voisins les évêques congressés catholiques et les travailleurs de l'usine de tuile de céramique d'à-côté.
Heureusement, la réceptionniste m'avait indiqué où elle cachait le code du système d'alarme. C'es bien connu, si vous voulez faire une razzia dans un édifice, allez-vous du côté du comptoir de la réceptionniste pour le code qui éteint l'alarme. J'ai galopé vers son bureau, arraché le petit papier de son babillard et couru vers une faible petite lumière de sécurité suspendue au mur pour le déchiffrer. Course vers le panneau du système d'alarme, brève incantation vers le dieu des causes désespérées, pitonnage du code et.. ouf.. le silence. Toujours pas de lumière, mais au moins le foutu système s'était fermé la gueule. Dans mon bureau, j'avais une liste des numéros de tout ce qui gravite autour de l'entreprise alors je savais que j'y trouverais le numéro de la compagnie de sécurité. Bureau, cartable d'informations, tite-lumière de sécurité, composition à tâtons au téléphone à la lumière du réverbère du stationnement des évêques et un "Please hold" qui en disait long sur l'efficacité du système de la compagnie qui nous protège.
J'ai holdé cinq minutes pis j'ai raccroché. J'avais ma fille à aller chercher à l'aérogare.
Malgré tout ça, je suis arrivé là-bas avec une bonne heure à tuer puisque son vol accusait un nouveau retard. Quant à ses bagages, Air Canada les avait envoyés en traîneau tiré par des chiens car ils sont arrivés une bonne heure après elle. Nous sommes donc rentrés passablement tard.
Après 8 heures de sommeil, ce qui me semblait tout à fait raisonnable, nous sommes partis cherche son copain à l'autobus. J'avais fait une recherche sur le site du réseau de transport pour connaître le meilleur moyen de nous y rendre. Le système nous a indiqué que le meilleur moyen de s'y rendre était de marcher. Venant d'un système informatisé au profit du transport en commun de la ville, je me suis dit que ça devait être sage comme conseil.
Je suis donc parti avec une adolescente de 18 ans sur des trottoirs pas très bien déblayés, faut quand même le reconnaître. Elle vieillissait d'au moins cinq ans à chaque coin de rue et je suis arrivé au terminus avec une petite vieille acariâtre qui devait faire dans les quatre-vingt-dix, minimum. J'ai songé pour un instant la prendre sur mes épaules pour le retour mais la vision de son prince charmant en Greyhound l'a remise de bonne humeur.
Les deux sont arrivés ici en baillant à se fendre les coins de bouche et dorment présentement comme deux marmottes dans un blizzard.
Allez donc savoir pourquoi, je ne me trouve pas si vieux que ça ce matin.

29. Les petites princesses

jeudi 1er mars 2007

À tous les matins, au coin de ma rue, il y a deux petites filles qui attendent l'autobus. Leur père les accompagne le plus souvent, parfois leur mêre. Enfin, je suppose que ce sont les parents. On tient plein de choses comme ça pour acquises.
Au début, je ne m'intéressais pas particulièrement à leur cas. Tout au plus, en les voyant tous les trois sur le coin de ma rue, ça me confirmais que je n'étais pas en retard. Quand leur autobus arrivait un peu trop vite, je clopinais un peu plus rapidement jusqu'au mien, des fois que ce serait un signe que je sois en retard.
Je savais depuis le début que le père les appelait ses princesses. Bon, ce n'est pas la première fois que je l'entends celle-là après tout. J'ai moi-même été l'heureux père de la Princesse-aux-cheveux-qui-puent (encourageant ainsi celle qui avait une phobie de se faire laver les cheveux) et de la Princesse-qui-pue-des-pieds (motivation pour celle qui détestait l'heure du bain mais qui une fois dedans, ne voulait plus en sortir).
Il m'a fallu un certain temps, beaucoup d'attention, et ralentir subtilement le pas à leur hauteur, pour constater que la référence royale est poussée à l'extrême. En effet, à tous les matins, en plus de leur donner de la princesse à tour de bras, le club de curling adjacent est devenu un château où elles peuvent jouer à cache-cache derrière les meurtrières, soit les poubelles qui sont près de l'entrée. Elles peuvent aussi se cacher sous le pont-levis, le perron de l'entrée principale. À chaque matin, les princesses se rendent à l'école avec un moyen de transport différent. Ce matin, il s'agissait d'un carosse tiré par des milliers de souris. Un éclat de rire royal a répondu à cette expectative. Hier, il s'agissait d'un brigantin toutes voiles dehors avec un beau prince aux commandes.
À tous les matins, je me dis qu'il y a des enfants heureux pour qui la journée commence plutôt bien. Il est difficile d'imaginer cette famille le matin autrement que dans une joie même pas simulée, des matins remplis de soleil même pas quétaine et de rires sincères de gens complètement mais alors là tout à fait heureux.
Quand je m'éloigne, j'ai quand même une pensée charitable pour le vieux bouc qui conduit l'autobus et pour l'enseignante qui les accueillera plus tard et qui les brusquera un peu quand elle en surprendra une des deux à dessiner des dragons sur le mur des toilettes.
Je parie qu'elle est la sorcière de l'histoire.

28. J'aime ça les réunions

mercredi 28 février 2007

Je viens de me taper une série consécutive assez impressionnantes de réunions que j'anticipais avec grande appréhension depuis un certain temps. J'ai un passé personnel assez triste en ce qui concerne les réunions interminables, surtout quand elles durent toute une journée. J'en ai dodeliné plusieurs ayant une capacité d'attention somme toute assez limitée quand on lui demande de s'étioler sur plusieurs heures. De plus, pous saper mon moral davantage, je suis convaincu que les longues réunions, c'est le lot inévitable des francophones minoritaires. Comme on est toujours éparpillés aux quatre coins d'un pays, d'une province ou d'une région quelconque, on ne se rencontre jamais pour une heure ou deux; on se tape ça à coup de journées. On en veut pour son argent, même si ça veut dire qu'on doit tous sortir de là affligés d'une réunionite aïgue.
Cette fois-ci cependant, je dois dire que j'ai été en alerte la plupart du temps. Certaines personnes qui participent à ces rencontres vous incitent à rester éveillés.
L'une d'elles, par exemple, était assise juste en face de moi. J'étais fasciné de l'entendre émettre des sons sans pour autant bouger les lèvres. La parfaite ventriloque si elle avait eu un pantin à côté d'elle pour se faire aller les mâchoires. Sauf qu'elle n'en avait pas. Aucune idée de ce qu'elle racontait mais elle m'a gardé en haleine et j'appréciais bien ses interventions qui me donnaient l'occasion d'admirer son talent perdu un peu plus.
Une des réunions était ponctuée des glapissements hilares d'un homme assez ordinaire en apparence mais qui me fascinait, lui, par son rire qui s'apparentait à celui d'une otarie nymphomane. On parle souvent du rire communicatif; le sien était sans doute de la même famille.
J'aime bien aussi noter les commentaires de certains qui ponctuent une réunion d'interventions délectables du genre : "J'aurais peut-être une question..." qui signifie plutôt "Bon, y'a un bout de temps que j'ai pas eu le crachoir alors je vais vous pousser une connerie à vous renverser tous."
Certains s'aventurent dans le proverbe : "Il y a un chef et pas trop d'Indiens", "Tout ça est arrivé comme un cheval sur la soupe".
Parlant de soupe, j'ai faim. Je vous quitte là-dessus.

27. Le mystère de Réal

lundi 27 février 2007

Dans un café, deux dames causent. Elles sont juste derrière moi, je ne les vois pas mais je les entends très bien. C’est l’une d’elle qui mène la discussion, l’autre se contente de hmmm-mmmer et de ah-ouais-ah-ouaiser. Je l’imagine s’agitant du bonnet dans tous les sens en guise d’approbation des propos de sa consoeur.
Quand je suis dans une ville anglaise, je n’entends que le bourdonnement des voix autour de moi. À moins que ce ne soit les propos qui sont inintéressants? Quoiqu’il en soit, quand je suis dans un milieu francophone, il me semble que j’entends tout et que les conversations m’assaillent de toute part sans que je puisse rien y faire. Il me semble aussi que les gens parlent plus fort mais là je n’ai pas d’étude psychosociale à l’appui.
Bref, malgré moi - le fait d’être seul avec mon sandwich aidant - je finis par m’intéresser à ce Réal dont il est question.
Au début, je présume qu’il est le fils de la celle qui anime cette discussion. Vers la fin, j’en suis moins certain car il a apparemment fréquenté une femme qui chauffait les autobus (des images qui me sont passées par la tête) et qui était beaucoup plus jeune que lui, dans la jeune quarantaine. Encore là, je suis dans les limbes de la présomption mais je me dis qu’il doit être au moins dans la mi-cinquantaine, pour justifier l’adverbe "beaucoup". La jeune poulette chauffeuse le gavait de cadeaux, paraît-il, allant d’un manteau de cuir à des bottes qui valaient beaucoup d’argent, selon l’informatrice. Les deux étaient d’accord que ça n’avait pas d’allure qu’une jeune femme avec une bonne job entretienne, en quelque sorte, un homme, tous âges confondus. Mais il semble qu’elle faisait beaucoup d’argent, comme quoi une femme qui chauffe peut rapporter un bon profit. Mais là n’est pas le propos de l’énigme.
Car d’une énigme il s’agit bien. Lisez, chers gens, les propos fidèles des malheurs de Réal, tels qu’entendus à la table de ce petit café de la basse-ville de Québec.
Ce mois-ci, Réal n’a pas d’argent pour payer son loyer. Le 400 $ requis lui aurait été subtilisé habilement par un de ces hommes qui fréquentent ledit appartement. Comme il a demandé à la principale intéressée de lui avancer le montant, il se trouve qu’elle est concernée directement par l’incident.
Tel que rapporté par l’informatrice, le seul fait solide de cette histoire sordide est que le montant de 400 $ a été retiré du compte de Réal par une tierce personne dont on ne connaît pas l’identité.
- Hmmm-hmmm, fit l’autre.
Si la fourmi n’est pas prêteuse, la dame à qui Réal réclame le prêt ne l’est pas non plus. Il m’a semblé qu’elle considérerait la chose si - et seulement si - elle pouvait comprendre comment l’argent du loyer a disparu du compte de Réal. Voici donc les possibilités qu’elle a échafaudées.
(NDLR : CSI Miami, c’est de la petite bière à côté de ceci.)
Scénario # 1 :
Réal aime bien lever le coude, tout le monde à St-Roch semble savoir ça. Il est d’une nature généreuse et son appartement est souvent le théâtre de rassemblements d’hommes qui viennent profiter de sa bonté pour boire sa bière. Il a prêté l’argent et ne s’en souvient pas.
- Ah-ouais-ah-ouais, ç'a ben du bon sens, confirme l’autre.
Scénario # 2 :
Un triste individu de la même gang de profiteurs l’aurait accompagné au guichet automatique et aurait retenu le NIP de Réal en reluquant discrètement par-dessus son épaule. Lors d’une beuverie, il aurait subtilisé habilement la carte de guichet de Réal, se serait rendu au guichet automatique retirer l’argent et aurait remis la carte dans le porte-monnaie de Réal.
- C’est ben possible, dit l’autre. Il le laisse toujours à traîner sur le frigidaire.
Scénario # 3 :
Ici, le cordonnier de St-Roch joue un rôle crucial au niveau du constat social de l’évolution des ruses basées sur la recherche scientifique. Il aurait dit à la fourmi pas-prêteuse qu’il paraît qu’il existe une pilule qu’on peut mettre dans la bière de quelqu’un pour lui faire faire n’importe quoi. Dans ce cas-ci - vous l’aurez deviné - le voyou sans vergogne aurait soutiré le NIP de Réal avec une facilité élémentaire. Une pilule dans la Labatt et le tour est joué. Réal déballe le NIP, l’autre prend la carte sur le frigo et retire le montant du loyer pendant que Réal se remet de ses émotions. Un jeu d’enfant, d’après l’informatrice. Ni vu, ni connu, selon le cordonnier.
- À la caisse populaire, le NIP a cinq chiffres. Dans les banques, y’a juste quatre chiffres, précise l’autre. Cinq chiffres, c’est plus difficile à retenir.
Scénario # 4 :
Il est envisageable que le receleur ait tout simplement emprunté la carte bancaire pendant que Réal était pompette et qu’il ait essayé des combinaisons de NIP jusqu’à ce qu’il trouve le bon. Là-dessus, les deux s’entendent qu’il vaut mieux avoir une carte de la caisse populaire avec un NIP à cinq chiffres. Fermat tomberait sur le cul devant une théorie si joliment avancée.
- Une fois, il faisait noir dans la cabane du guichet et je me suis trompé de NIP trois fois, dit l’autre. La machine a mangé ma carte pis je ne l’ai plus revue, précise-t-elle. Y’a fallu que j’alle à la banque pour en ravoir une autre.
* * *
Je vous laisse donc, chers lecteurs, me donner vos impressions sur cette infâme histoire du pauvre Réal. Allez-y de nouveaux scénarios ou amenez de nouveaux éléments à l’énigme. Personnellement, je ne retiens qu’une chose et ma perspicacité va vous terrasser : Réal était saoul au moment du recel. Comment ça s’est passé, voilà toute la question.

26. Les vacanciers sont arrivés

vendredi 23 février 2007

C’est pas pour faire le malin que je vous écris d’un avion. Avant, je roupillais toujours sereinement dès que ma tête trouvait appui sur la paroi du cockpit et les agents de bord me réveillaient à destination. Je sortais de là avec la tête que j’ai le matin au réveil. Avec l’invention des écrans avec contrôles tactiles coincés dans les appui-têtes, je n’ai plus jamais pu dormir dans un avion. Cette fois, derrière moi, il pianote sur son écran avec l'énergie d’un désespoir profond. C’est d’autant plus désolant qu’il n’a pas compris qu’il n’y a pas de programmation sur un vol de 28 minutes. J’ai donc un crétin qui me pioche contre le cràne et je vous écris, vous qui n'êtes pas fort sur le commentaire et qui ne me lisez peut-être même pas.
À l’embarquement, deux hommes et deux femmes très difficiles à appareiller - en fait, à les regarder, j’ai imaginé six combinaisons possibles - partent en vacances pour le Sud. Deux avaient les cheveux fraîchement teints avec des highlights pas très bien répartis sur la sphère, ce qui laissait présumer les efforts louables d’une belle-soeur bien intentionnée dans son sous-sol. Deux autres portaient des ti-petalons blancs sûrement achetés en prévision des vacances avec t-shirt aux couleurs criardes, l’un arborant le thème d’une agence de voyage et l’autre un manifeste complet contre les conséquences désastreuses des économies de marché sur les moeurs populaires. Je me demande s'il a une opinion sur le sujet. Les deux autres comparses portaient des jeans qui vont fendre aux coutures s’ils font les goinfres dans le buffet all-you-can-eat du forfait tout compris qu’ils ont dû acheter, ce qu’ils ne manqueront pas de faire, je vous parie vingt piasses là-dessus drette-là.
Ils passent devant une chute artificielle qui plastronne un mur de l’aéroport et décident comme s’ils étaient reliés par des ondes télépathiques de se faire prendre en photo juste devant. Dieu est bon car ils accrochent quelqu’un d’autre que moi pour faire le triste boulot. Ils s’entrevêchent les bras et les épaules et s’inventent un sourire de circonstance. Ils cachent à peu près complètement la chute. Clic.
C’est don'fin la photo digitale, tu peux voir le résultat tu-suite. Ils s’attroupent autour de l’appareil et là ils se bidonnent. Je me demande d’où leur vient cette soudaine agitation de la rate puisqu’ils ont cet air-là depuis que je les connais.

25. Cause toujours!

dimanche 18 février 2007

Elle parle, elle parle à toute allure sans jamais s'arrêter. Ça pourrait être nerveux mais non, c'est pire : c'est naturel. Elle parle comme ça sans arrêt, babillage étourdissant, elle parle. Elle doit parler la bouche pleine en mangeant, causer à travers la porte des toilettes, être somnambule des babines.
J'apprends malgré moi qu'elle est née dans l'Ouest. Elle m'oblige à savoir qu'elle vit chez ses grands-parents à Halifax. Elle me force à apprendre qu'elle travaille à Ottawa quand elle n'a plus d'argent pour vivre chez eux. Elle me contraint à être informé qu'elle a un frère qui vit partout, il déménage tout le temps. Elle me raconte tout ça à moi qui veut juste lire, dormir, mettre les écouteurs.
Je ne demande rien, même pas si elle a des parents. Je me dis qu'à parler comme ça à toute vitesse, elle va bien finir par me dire où ses géniteurs se terrent. J'apprends tout du frère; je pourrais le dessiner si je savais dessiner. Je reconnaîtrais ses grands-parents dans n'importe quelle foule qui serait venue voir le pape mais rien au sujet de ceux qui ont mis au monde ce moulin à parole.
Je me fais mon petit scénario : les parents s'abreuvent de silence sur un îlot désert où ils ont même pris soin d'égorger les oiseaux; le frère, il se pousse à chaque fois que la loquace frangine s'approche; et les grands-parents lui sourient tout le temps en dodelinant du chapeau, sourds comme des potiches, l'appareil débranché depuis qu'elle est débarquée.
Elle parle, elle parle...

24. Pas très gai, tout ça...

jeudi 16 février 2007

C'est quand on visite nos amitiés d'antan qu'on s'aperçoit qu'on a bel et bien déménagé et qu'on vit carrément ailleurs, il n'y a pas à en douter. Je suis ici depuis mardi soir et j'ai revu et parlé à tellement d'amis dont je manque la présence là-bas que je dois bien me rendre à l'évidence... que leur présence me manque. Ou leur proximité devrais-je dire car de nos jours, on est jamais bien loin. Électroniquement j'entends.
J'ai toujours eu pour principe que les amis, les vrais, il fallait les compter sur les doigts de la main. Je me rends compte que je déborde un peu côté appendices digitaux mais je ne saurais m'en porter mal.
Ce n'est pas la profondeur des sujets de discussion qui manque non plus.
L'une me refile Lomer de Richard Desjardins que j'écoute une fois en n'y comprenant rien, mais alors là rien. J'écoute à nouveau et mon oreille se fait au vieux français de même qu'aux mots dont certains auxquels j'accroche plus qu'à d'autres. J'écoute une troisième fois et tout s'éclaire en même temps que s'assombrissent mes pensées. C'est la deuxième fois en autant de semaines que je suis confronté à cette haine latente qui me guette peut-être sans que j'en sois conscient. Je n'en ai rien connu jusqu'ici et je ne m'en plains pas particulièrement. La chance, la naïveté ou un entourage intelligent qui voit au-delà des étiquettes commerciales toutes préparées d'avance? J'aime mieux me complaire dans la dernière éventualité, question de continuer à croire que le monde est en évolution.
Je jase aussi de la vie qu'on choisit ou qu'on ne choisit pas de vivre seul ou de vivre à deux. Les choix qu'on fait ou qu'on ne fait pas. Ceux que la société fait pour nous. Ceux que la vie des autres décide sans nous consulter. Une seule évidence : on est responsable de tricoter son petit bonheur, personne ne le fera pour nous et il est con de tenter de le faire pour d'autres.
D'autres me parlent de ce qui semble être le lot d'un mitan de vie. Une sorcière m'a déjà dit que les épreuves qu'on vit à cette période nous préparent à faire face à ce qui s'en vient. J'aimerais bien y croire mais j'aimerais aussi envoyer un courriel à Celui qui fait tous ces plans, juste pour Lui dire que côté distribution des épreuves, Il pourrait revisiter ses listes. Y'en a qui ont compris, qui ont déjà réussi le test et qui ont même gagné le t-shirt alors ce serait bien de passer à autre chose.
Il est tard hier soir quand je reprends la route. Je m'engage sur un pont à voies multiples. Le véhicule de gauche tangue à droite, à gauche et je l'aperçois qui s'approche dangereusement de mon flanc. Sur un pont, perché au milieu d'un havre profond, ça vous fout une trouille difficile à décrire. J'appuie sur le klaxon et le son qui sort du capot ressemble à un pouet-pouet de clown de cirque qui ne perturbe en rien le tracé dangereux du SUV d'à-côté.
Quand je réussis à prendre mes distances, une adrénaline que je n'ai pas senti jusqu'alors me sort par les lobes d'oreilles et me titille la racine des cheveux. Je roule calmement vers la maison en me disant que tout ça ne tient qu'à un fil de toute façon, hein?
Vous n'y comprendrez peut-être rien mais je retiens que l'égoïsme est peut-être le défaut le plus utile pour que nos qualités puissent continuer à vivre.

23. La Saint-Valentin

mercredi 14 février 2007

Souvenirs d'une douche froide pour coeur chaud
Je me souviens du temps de plus en plus jadis où, jeune freluquet d’âge scolaire, on m’avait initié aux mystères de la Saint-Valentin. Fête que je soupçonne être tout droit issue du cerveau machiavélique d’un sombre capitaliste ayant flairé l’affaire et investi sa fortune dans une palette allant du rouge sang au rose pompon.
Toujours est-il qu’à cette lointaine époque, on en était encore aux grands cartons de valentins à découper. Comme on n’en donnait pas à tout le monde et à son chien, ledit carton pouvait servir pour au moins toutes les années du cycle primaire. Les filles ne s’en donnaient pas entre elles, les garçons encore moins. De toute façon, on était toutes des valentines, le valentin d’expression française n’étant apparu que dans la période la plus ingrate de mon adolescence, celle où Cupidon rivalise avec le comédon. Ce dernier, grand vainqueur, aurait découragé le plus tenace des prétendants de faire connaître ses intentions à la valentine élue.
Ce temps est révolu. Quelques décennies plus tard, les enfants reviennent de l’école avec la liste de TOUS les élèves de la classe que Madame a préparée afin que toutes les petites amies et tous les petits amis écrivent des valentins à tous les petits amis et à toutes les petites amies de la classe. Le 13 au soir, on était une demi-douzaine de parents en ligne chez Walmart avec des restants de valentins hors-de-prix. L’histoire aurait pu se terminer là.
Pour la plus jeune, l’affaire fut vite réglée. Elle identifia toutes ses cartes de valentins au plus sacrant, se souciant peu du destinataire et encore moins du message. Madame (elle le méritait bien) s’est donc ramassée avec une carte sur laquelle on peut lire : "Tu me fais baver, Valentine". Quant aux autres fillettes, elles doivent toutes être de bonnes joueuses de tennis parce qu’elles ont toutes reçu de ma fille des souhaits allant du "Tu me fais frémir" au "Je tremble devant toi".
La plus vieille commence à comprendre un peu plus de quoi il en retourne. Elle a pris soin de lire minutieusement les souhaits inscrits et en a éliminé d’emblée une bonne partie. En fait, toutes les allusions érotico-cochonnes ont été mises de côté, au grand soulagement du paternel qui se disait que, finalement, les cours de catéchèse ne sont peut-être pas une perte de temps aussi monumentale qu’on pourrait le croire.
Les meilleures amies ont vite reçu les plus beaux et les plus gros avec des souhaits tous très politiquement corrects. L’affaire s’est corsée pour les garçons où l’enjeu est un peu plus délicat. Elle a même été forcée, à un certain point, de retourner dans la pile des rejets et de signer quelques cartes affichant un cow-boy qui se cache l’entrejambe avec un coeur froufroutant d’une main et qui fait tournoyer son lasso de l’autre en susurrant "Attends que je t’attrape".
C’est alors que j’ai découvert qu’il y a des garçons qu’elle ne peut déjà plus blairer. À neuf ans et demie. Mais - liste de Madame oblige - elle se devait de leur en offrir. Ce fut la partie la plus difficile de l’opération, aucun boniment n’étant assez nuancé pour que le récipiendaire n’y voit aucune espèce de brin d’amitié la trahir. Après de longues tergiversations, j’ai finalement pogné les nerfs et je lui ai dit que même si je faisais tous les Walmarts et tous les Zellers de la ville, je ne trouverais pas de "Joyeuse Saint-Valentin, trou d’cul". Elle a finalement daigné leur préparer un minuscule valentin sur lequel il faut être perspicace pour lire "Tu me fais tourner la tête", ce qui n’était pas tout à fait faux à 21h20 quand on accuse près d’une heure et demie de retard sur le rituel du coucher.
Et demain, dès l’ouverture des centres commerciaux, les vitrines et les présentoirs passeront du rose poupoune au vert lutin en prévision de la Saint-Patrick. Ainsi va la vie.

22. Cellulaires

mardi 13 février 2007

À chaque fois que je suis à l'aérogare - et j'exagère à peine - il y a quelqu'un qui se tape un orgasme au cellulaire à contacter quelqu'un pour lui dire négligeamment, mine de rien, comme ça : "Je t'appelle de l'aéroport."
Mais c'est quoi le trip? Il s'en fout peut-être l'autre que vous soyez à l'aéroport et il vous imagine peut-être aux chiottes juste pour se créer sa propre image de vous à sa façon. Moi, si quelqu'un m'appelle juste pour me lancer au hasard qu'il est à l'aéroport, je vais m'imaginer le jet-set aux chiottes, c'est certain. Qu'on se le tienne pour dit.
Revenons aux choses importantes. Je vous blogue de l'aéroport où mon vol pour Halifax accuse un bon deux heures de retard. Compte tenu que tous les vols en partance pour l'est américain sont annulés, je me prépare mentalement à passer la nuit ici, ce qui serait plate rare étant donné que je n'ai même pas une foutue paire de chaussettes dans mes bagages. J'en ai pas besoin car j'habite à l'autre bout aussi et j'ai tout ce qu'il faut là-bas, incluant le désodorisant et le dentifrice que je n'ai plus besoin de ziplocker pour monter à bord.
Trop d'une même bonne chose lasse même le meilleur chrétien. Moi, le numéro 3 chez Moe's, je suis pu capable. Comment un endroit comme Dorval, renommé PET on ne sait trop pourquoi, peut-il n'avoir qu'une seule binerie pour tout service alimentaire dans l'aire des passagers? Aucun endroit n'a de frites plus graisseuses et Moe doit avoir la peau sacrément grasse à engouffrer ses patates dans la même huile depuis toutes ces années. Remarquez que je ne m'en plains pas car si on est pogné pour manger des frites, aussi bien les manger graisseuses.
J'ai mangé. J'ai lu un peu. J'ai un ti-peu mal au ventre. C'est à cause des frites de chez Moe's.

21. Revenir ou y aller?

dimanche 11 février 2007

À chaque fois que je reviens ici en avion, je réalise que je n'y viens pas mais que j'y reviens. À chaque atterrissage, je prends de plus en plus conscience que j'habite ici.
Hier, brunch avec le cowboy et souper avec des amis. Avec le comboy, je cause comme je n'ose qu'avec un taux d'alcool assez élevé mais je n'ai bu que du café. Plus tard, avec les amis, je cause comme je n'ose qu'avec un taux d'alcool assez élevé mais j'ai bu beaucoup de vin. Allez donc savoir la différence.
En attendant le cowboy, je me rends à un kiosque à journaux du centre commercial adjacent. Ils sont deux derrière la caisse. Peut-être un couple, qu'est-ce que j'en sais. Lui, les cheveux jaune-poussin et elle percée de partout à se demander si elle est encore waterproof. Le présentoir des journaux d'Ottawa est vide. Je demande au poussin s'il lui en reste des exemplaires. Il me répond : On n'en a pas de journaux le samedi parce qu'on est pas ouvert.
Quoi répondre à ça?
Dans sa boutique pas-ouverte, il y a aussi des cartes de Saint-Valentin. En français svp. Je pense à mes filles et j'aimerais bien leur en envoyer. Sont toutes cochonnes ou déprimantes.
" Si je te mange tout rond...".
(On ouvre la carte) "
"... c'est parce que tu ressembles à du bonbon. Joyeuse Saint-Valentin "
(On referme la carte et on tombe sur le cul.)
Mais c'est quoi ça?! Qui offre une carte comme ça? Un illettré, je ne vois pas qui d'autre.
Une autre :
" Quand je te vois..."
(On ouvre la carte.)
"... c'est comme si voyais une montagne de chocolat."
(On referme la carte et on entend l'autre lui lancer la carte en crachant : " Dis moé donc que j'sus grosse tant qu'à faire!)
Il y en a qui sont destinées à une fille de son père. C'est justement ce que je cherche.
"J'ai un petit secret pour toi. Ton papa..."
(On ouvre la carte, de plus en plus inquiet, faut dire.)
".. pour la Saint-Valentin veut être ton roi!"
(On referme la carte en imaginant toutes ces petites filles qui n'en dormiront pas des nuits.)
Je n'ai pas remercié le poussin et son associée perforée en sortant. De toute façon, leur boutique n'était pas ouverte.
Moi je pense que les gens qui écrivent des cartes pour Hallmark vivent de profondes déprimes cycliques. La gang qui fait le contrat des cartes de Saint-Valentin passe le reste de l'année à se vômir dessus dans un asile, c'est certain.
La plupart ne comprendront rien au reste de mon blogue mais retenez que j'étais un peu pompette. Je suis revenu me coucher à l'appart. et je suis tombé endormi rapidement avec un sourire de crétin dans la face. Je ne sais pas s'il s'agissait de l'effet de l'alcool mais j'entendais dans ma tête :
I Don't Wanna Take Away His Life I Don't Wanna Be... A Murderer!
Sur un fond d'anniversaire de mariage, ça faisait son petit effet.