mercredi 15 octobre 2008

80. Leçon de trilinguisme

J'écoutais pas, je vous le jure. Mais j'ai entendu.
Ils avaient tous les deux vingt ans, max. Un gars, une fille, vendeurs dans une boutique du Marché-By.
- Il m'a flushé.
- Ah ouin?
- Il a dit « Pitché! » pis y'a raccroché.
- Han? Pitché? Comme dans « Mâ te pitcher dans 'és boîtes? »
- Ouin, ça doit être ça.
Sauf que moi, j'étais avec ma fille pis on a entendu la même conversation. Elle écoutait pas elle non plus, je vous le jure. Mais elle a entendu.
Ma fille et moi, on sait que si le gars a raccroché en disant « Pitché! », c'est que le copain, il est Acadien.
Et en Acadien, ça veut pas dire qu'il veut la « pitcher » dans les boîtes, ça veut dire qu'il a pitié d'elle mais d'une pitié méprisante, ce qui se traduit mieux par « Pauvre conne. »
Mais ma fille et moi, on lui a pas dit à la fille que c'est ça que ça voulait dire parce qu'elle avait l'air déjà assez bouleversée de s'être fait pitcher dans les boîtes, sans qu'en plus on lui apprenne qu'elle est une pauvre conne.
C'est quand même commode d'être trilingue.

lundi 13 octobre 2008

79. Tant à découvrir

Vendredi j'ai pris congé. Je m'étais fait une petite liste de choses à faire et le changement pour des plaques d'immatriculation en français en faisait partie. Difficile de dire pourquoi ça continuait de me trotter dans la tête. Sûrement parce que la défense du français est en quelque sorte mon gagne-pain mais sans doute aussi par respect pour le comité de crétins qui a dû voir à la traduction de Yours to Discover. J'imaginais des mois de réunion et des votes contre les suggestions des traducteurs dépités : La tienne à découvrir (trop littéral), Découvrez la vôtre (trop suggestif) Découvrez-vous (trop tentant) et Découvrez-la (purement cochon).
C'est donc par pitié pour tous ces gens que je me suis pointé au comptoir de l'agence de distribution des plaques d'immatriculations. Cette fois-ci, je me suis rendu directement au comptoir des informations, question de ne pas perdre une minute. Je suis en congé mais mon intention première n'est quand même pas de le passer dans une file d'attente.
Je suis chanceux, il n'y a qu'un type devant moi. C'est un Chinois qui tente d'expliquer dans son anglais approximatif qu'il y a une erreur sur son permis. On a inversé son nom et son prénom et il aimerait que ce soit corrigé. Disons qu'il s'appelle Ming Wâ, on l'a appelé Wâ Ming et ça l'agace un peu. Mais il sourit toujours en expliquant tout ça. Il sourit aussi quand elle lui dit qu'il va devoir faire un changement de nom. Il prend un numéro et s'assit tranquillement en attendant qu'on l'appelle à nouveau.
Arrive mon tour et je lui demande si ça va être long pour obtenir des plaques en français. À côté d'un changement de nom, j'ai presque honte de la déranger pour si peu. Elle me flanque un tourne-vis dans la main et me demande mes papiers, que j'ai avec moi, petit futé que je suis.
- Allez chercher vos plaques et je vous complète les formulaires en attendant. Ça va aller vite.
- Wow, que je dis.
Je sors dévisser mes plaques. Faut dire aussi que je n'ai jamais réussi à retenir mon numéro de plaque et que ça m'agaçait un peu. Quatre lettres et trois chiffres, c'est pourtant pas difficile mais je suis tombé sur quatre lettres qui ne faisaient aucun sens pour moi. Même aujourd'hui, je ne m'en souviens déjà plus. Une série de consonnes sans aucun référent auquel je pourrais me raccrocher : BFZT ou BZVL je ne sais plus...
J'apporte donc les plaques BLRF Yours to Discover en me disant que je fais un bon coup. Ça peut pas être pire.
Je remets donc les plaques au comptoir des renseignements. Elle les repousse gentiment et me tendant un dossier que je dois apporter à un comptoir de service. Elle m'indique aussi de prendre un numéro. Elle doit voir dans ma face que je débine car elle ajoute : « Ça va aller vite. ».
Ouais.
Elle a raison, les numéros défilent à toute allure.
Devant moi, le Chinois qui change de nom. Il doit prendre sa photo à nouveau. Il sourit toujours, devant la caméra encore plus. La fille qui prend la photo lui dit « No expression, please. » Cette fois, ça le fait franchement rire. « No, no. No teeth please. » Moi je me dis qu'il va enlever son dentier, c'est certain. Mais non, il met sa main devant sa bouche le con.
Après quatre reprises, il finit par se donner un air à-peu-près sérieux et la photo satisfait la commis.
C'est ensuite mon tour. Une commis vérifie mes documents et une autre apporte les plaques. Je jette un coup d'oeil furtif : Tant à découvrir, en toutes petites lettres mais c'est bien en français.
En quinze minutes, tout était réglé et j'étais à quatre pattes dans le stationnement en train de remettre les nouvelles plaques. Toutes neuves, pas d'insectes effoirés dessus. Du coup, je décide de me rendre à un lave-auto, question que l'auto soit aussi propre que les plaques neuves.
Je retourne à la maison, pas mal fier de mon coup.
Mon copain est justement dans le garage en train de bricoler.
- Ah, tu changer les license plates? (sic).
- Ben oui.
- BEAD, that's easy enough to remember. It's an English word!
- Phoque.