mercredi 30 mai 2007

49. Un zèbre à onze heures

Je suis allé dans le pays voisin aujourd'hui pour un congrès syndical, celui du plus gros syndicat québécois, que je ne nommerai pas puisque je vais en parler et qu'on pourrait reconnaître les personnages, fictifs bien entendu. Wink, wink.
Je m'étais pointé là sur une obscure invitation dont je doutais un peu. J'étais quand même curieux de me mêler à cette grosse machine pour voir un peu de quoi il en retourne. Je m'étais imaginé assis dans la dernière rangée, discrètement, mine de rien. Ni vu, ni connu, genre.
Il en fut tout autre. Présentations, tata à la foule, assis au rang d'honneur, photographe à six pouces du nez pour marquer l'événement. Ils font les choses en grand ou ils ont pas de visite souvent.
J'ai quand même retrouvé toute une autre atmosphère que ce que j'avais vu jusqu'à maintenant. Disons que ça redéfinit le syndicalisme. À comparer ce que j'ai entendu, je dirais que partout ailleurs, les congrès équivalent à des soirées sociales.
J'ai quand même dû sourire par un effet du hasard qui m'a évité d'être trop dépaysé. En effet, comme entrée de jeu le président, voulant exprimer le besoin d'action a cité nulle autre qu'Edith Butler qui chantait, paraît-il, qu'il faut chanter pour ne pas disparaître. Un peu plus et je me serais attendu à ce que l'assemblée se lève pour swinger en chantant « Tu peux ben dormir tranquille, tidelida, tidelidou. »
J'ai été toute la journée fasciné par les expressions du président et de ses orateurs invités. Je me rends compte qu'on manque d'images à l'extérieur du Québec. Ou alors on ne réussit qu'à s'inspirer de l'anglais pour accoucher d'expressions pas tout à fait gracieuses. J'en ai répertorié quelques-unes aujourd'hui dont j'ai reconnu facilement la signification :
- s'arracher le poil de la noix (s'arracher les cheveux de la tête)
- s'étendre là pis attendre (ne rien faire)
- s'immoler devant l'Assemblée nationale (faire grand cas d'une situation et s'en faire le défenseur - NDLR inutilisable à l'extérieur du Québec, malheureusement)
- peinturer le salon quand la maison est en feu (probablement quelque chose à voir avec une mauvaise priorisation - inutile à l'extérieur du Québec car Patrimoine canadien subventionne la planification stratégique pour les francophones hors-Québec)
- se monter les gants blancs jusqu'aux épaules (un dérivé de se mettre des gants blancs mais comme l'orateur faisait dans les trois cents livres, l'image était plutôt troublante et j'étais tenté de lui dire qu'il aurait fait peur à n'importe quel interlocuteur avec des gants de petite communiante, pas besoin de les étirer ne serait-ce qu'au coude)
- être dans le trèfle jusqu'à la moitié des genoux (celle-là reste indécodable car 1) le trèfle ne pousse pas si haut 2) c'est quoi ça la moitié du genou? 3) hors-Québec quand on est dans quelque chose jusqu'au genou ou jusqu'au cou, c'est habituellement de la marde, terminologie qu'il me semble difficile d'interchanger avec le trèfle sans y perdre la nuance sémantique)
J'allais quitter sur cette note et je me suis souvenu du titre de ce texte. Un gars que je ne connaissais pas voulait probablement fraterniser et me faire sentir de la gang (s'il avait su le pauvre!). Il me dit : « Heille, eur'gar le zèbre à onze heures. » Bien que je comprenne tous les mots de la phrase pris séparément, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Comme il se doit quand on est nouveau dans la place, je lui souris comme un cave. Il insiste : « Eur'gar, eur'gar le beau ti-zèbre à onze heures, un ti-peu sur ta gauche. » Là, je regarde légèrement à ma gauche et je vois une greluche dans un minuscule chandail rayé noir et blanc mais qui épouse tellement ses formes volupteuses - et même celles qui le sont moins - qu'en effet, tout cela ressemble aux rayures d'un zèbre.
Les rayures étirées par la volupté se déforment, c'est bien connu.

jeudi 24 mai 2007

48. Porte et fenêtre sur l'extérieur

Je travaille de la maison, là-bas, cette semaine. Je ne suis pas tout à fait le genre à travailler de la maison parce qu'il y a trop de distractions. J'ai la chatte qui menace d'attaquer mon curseur à tout moment et le chien qui n'en revient pas qu'il peut sortir et entrer aussi souvent qu'il le veut. Il s'en donne à coeur joie, grattant à la porte comme si le paradis se trouvait de l'autre côté, laissant mon curseur immobile à chaque fois que je me lève de ma chaise pour lui prouver une fois de plus que de l'autre côté de la porte, il y a toujours la même chose : l'extérieur ou l'intérieur. Rien d'autre. Il est surpris à chaque fois de constater que rien n'a changé, que l'autre côté de la porte se ressemble toujours bien que ce ne soit pas certain qu'il s'en souvienne.
Je reviens à mon bureau pour trouver quelques feuilles par terre, la chatte ayant profité de l'immobilité du curseur pour l'attaquer, spinnant du même coup sur les documents auxquels je travaillais. Et tout ça avec une souris juste à côté qui ne semble même pas l'intéresser...
Autre distraction : la télé que j'aimerais bien avoir le courage de fermer. Mais comme j'écoute très rarement la télé (Je préfère dire écouter la télé mais vous comprendrez que je la regarde en même temps. Si je disais seulement que je regarde la télé, vous pourriez croire que je suis un idiot qui regarde une télé qui n'est même pas allumée. En fait, je ne sais pas ce qu'on doit faire d'une télé.), donc, disais-je, comme je ne l'écoute pas souvent, j'en profite. Je ne pitonne pas cependant. Bon, je pitonne au début pour trouver quelque chose d'intéressant mais c'est vite terminé tout ça. Je vois ensuite défiler Martha Stewart mais je n'écoute pas (je regarde la télé, allumée si vous voulez tout savoir).
Bush. Tiens, tiens...
J'avoue que je n'ai jamais vraiment prêté attention à ce que raconte Bush autre que ce que tout le monde sait déjà. Mais là, c'est une émission spéciale alors je me dis que je vais l'écouter pour voir. (J'écoute, je vois, bon. Vous avez compris.) Il parle des immigrants illégaux qui résident aux USA.
Mise au point : retenez que je n'écoute jamais Bush. J'ai déjà entendu dire qu'il déconne mais je n'en ai jamais été témoin moi-même en personne. Or, si en l'écoutant pendant un gros trois minutes, j'entends la chose suivante, est-ce dire qu'il déconne beaucoup ou n'est-ce vraiment qu'un effet du hasard?
Je le cite fidèlement car j'ai noté tout de suite. (Il y a un bon côté à être assis à un bureau en train d'écouter/regarder la télé.) Il a dit : "Anybody hiring someone illegally is against the law."
Ça vous en bouche un coin, hein?

mercredi 16 mai 2007

47. Vol de retour

Derrière moi, deux couples. J'en aperçois un du coin de l'oeil, je n'ose pas me retourner pour regarder l'autre, c'est-à-dire celui qui est juste derrière moi.
Les deux gars sont des copains. Celui que je vois est dans la cinquantaine. Maigrichon. Il doit fumer c'est certain. Ils sont tous les deux assis côté hublot. Entre eux, les deux filles, beaucoup plus jeunes. L'écart d'âge a quelque chose d'indécent.
Tous les quatre, ils forment une bande d'abrutis notoire.
Au rayon de la connerie, ils n'en manquent pas une. Ce sont les gars qui mènent le flot d'absurdités qui se déverse dans mes oreilles. Les filles se marrent comme si elles venaient de se piquer à l'acide et en redemandent, ce qui a pour effet d'encourager les deux crétins.
Je vous lance tout ça en vrac :
Crétin # 1 : J'ai chaud, je crois que j'va ouvrir la vitre.
Filles : (Elles rient à s'en fendre la luette.)
Crétin # 2 : Ouvre les juste un ti-peu pour pas faire rentrer les mouches.
Filles : (Elles se fendent la luette.)
Commandant : Nous volerons aujourd'hui à une altitude de 33 000 pieds.
Fille # 1 : Hein? Comment ça? Quand on est allé, on volait à 28 000 pieds.
Crétin # 1 (qui se sent interpellé par le commentaire) : Ben, c'est comme prendre la 20 ou la 40 pour aller à Québec.
Fille # 1 : Hannnnn...
Crétin # 2 : T'nez vous ben les filles, on rentre dans les nuages.
Filles : Hannnnn...
Crétin # 1 : Heille, c'est la grosse tempête de neige dewors.
Filles : (désintégration de la luette)
Et ça continue comme ça jusqu'à l'atterrissage où Crétin # 1 essaie de deviner à quelle porte l'avion va se garer. Je vous épargne tout ça.

46. À la recherche du spiritou

J'étais à Winnipeg où j'avais quelques heures à tuer avant mon envolée. Je suis allé marcher dans Saint-Boniface. Je ne sais trop pourquoi mais j'accorde une importance probablement démesurée à ce bastion francophone qui, dans mes fabulations romanesques, ouvre la porte sur l'Ouest.
J'y suis quand même allé déjà à quelques reprises mais là, j'avais du temps. J'ai lu tout ce qu'il y avait à lire sur Taché, Provencher et je me suis même promené dans le cimetière autour de tous ces noms français. Le seul hic, j'apprends que Saint-Boniface était un Anglais. Bon. Je ne sais pas trop quoi en penser mais je n'ai pas aimé ça que Saint-Boniface soit un Anglais.
Je me promène dans les ruines de la cathédrale. Ça doit être parce que tout le monde me parle de sa spiritualité que j'ai envie d'en avoir une. J'essaye bien fort de reconstruire les murs et le toit sans succès. Ce n'est pas ici que je serai foudroyé d'allégresse.
Avec moi dans les ruines il y a cette dame trop vieille pour être la mère des deux enfants qui l'accompagnent et trop jeune pour en être la grand-mère. Ils ont trois ans, trois ans et demi au grand max. Elle veut les prendre en photo mais il ne regardent pas l'objectif, tout occupés qu'ils sont à attraper les grains de pollen qui tournoient dans l'air. Elle jappe un peu après eux et les menace de je ne sais quoi s'ils ne se tiennent pas tranquilles pour la maudite photo.
Je décide d'entrer dans l'édifice faire un effort de recueillement (et m'éloigner d'elle). Je n'ai jamais été porté sur la chose mais je me dis que je peux quand même tenter ma chance.
C'est très invitant là-dedans et je songe un instant à m'allonger sur un banc pour faire un roupillon, ni vu ni connu. Mais je me souviens de mes ambitions spirituelles et me ravise.
Je reste là à ne pas bouger. Si la foi est pour tomber sur moi, mieux vaut rester immobile pour qu'elle ne me rate pas.
Entre un autre touriste, plutôt beau bonhomme. Je me ressaisi encore et me recentre sur mon chaste projet. Je ramasse le livre « D'une seule voix » qui traîne partout entre les bancs. Je me dis que je vais l'ouvrir et avoir une révélation, c'est certain. J'ouvre. C'est des chants. Dieu est comme-ci, Dieu est comme ça, tralala. Je suis un peu déçu.
Je reprends ma pose pieuse, c'est-à-dire que je ne bouge pas. J'entends la mégère beugler après ces deux petits garçons et ça touble le calme. C'est sans doute à cause d'elle que je n'ai pas encore été frappé d'un bon coup de spiritou.
Je regarde au fond de la nef et je me concentre sur le Christ en lévitation qui s'y trouve. Je me concentre mais je vois aussi la petite bonne femme à côté de lui qui lévite elle aussi mais avec une main tournée vers le haut et l'autre tournée vers le bas. C'est comme si elle jouait au Slynky mais pas de Slynky. Ça me déconcentre un peu. Mais qu'est-ce qu'elle fait là de toute façon, Slynky ou pas? De l'autre côté, une croix. On comprend que c'est là pour rappeler au Christ comment tout ça va se terminer. Mais la petite bonne femme, je ne comprends pas.
Je me concentre à nouveau sur le Christ qui lévite. Je me demande comment il fait pour tenir là. Décidément, j'ai de la difficulté à maintenir le cap sur mon état de grâce potentiel. (Après un bout de temps, je décide d'en avoir le coeur net à défaut de l'avoir de sanctifié. Je suis un peu déçu de voir deux grosses barres de soutien lui enfoncer le dos; comme si c'était pas assez d'avoir été crucifié.)
Je fais le tour et je vois une petite salle sur le côté. Je m'approche. Ça y est. À l'intérieur, la pièce est vide sauf pour une petite table basse sur laquelle repose un livre ouvert. J'ose mettre un peu de lumière, défiant sûrement les réglements de l'endroit mais convaincu que c'est le message que j'attendais. Je me dis que j'expliquerai tout ça au bedaud ou au curé et qu'on rigolera de tout ça ensemble.
Je m'approche; je suis fébrile. La table est basse, je suis obligé de m'agenouiller. C'est un autre signe, c'est certain.
Je commence à lire, ému. C'est le passage où Jésus est chez Simon et il y a une pécheresse qui l'embrasse, qui lui lave les pieds avec ses larmes et qui essuie tout ça avec ses cheveux. Et Jésus, il veut savoir pourquoi Simon il n'en fait pas autant.
Je sais pas pour vous mais moi j'en conclus que c'est pas à Saint-Boniface que je fais me fabriquer une spiritualité pour pouvoir épater les copains.
Je sors du lieu saint. Je demande au premier passant s'il n'y aurait pas un Starbucks dans le coin par hasard.

samedi 12 mai 2007

45. Des tulipes et des lilas

Il y a des matins qui vous font du bien. J’ai eu la bonne surprise de constater que le vol que je devais prendre aujourd’hui était bien plus tard que ce que j’avais imaginé. Je ne suis donc couché tôt avec un bon livre et avec l’idée que je pourrais traîner au lit à mon réveil. Juste ça, ça m’aide à bien dormir. J’ai roupillé sans interruption comme un chat au soleil. Ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. J’ai apprécié la quiétude de mon petit studio en me faisant un café, plaisir que j’ai trop peu l’occasion de me payer.
Je suis arrivé à l’aéroport avec une bonne heure d’avance, lu le journal, autre luxe que le rush de la vie ne m’offre pas souvent. (Ça serait-tu que je fais une vie de fou?!) Heureusement que j’ai bien dormi car j’ai un petit braillard dans le siège arrière qui s’égosille depuis que nous sommes dans l’avion. L’agent de bord a apporté un demi-litre de lait en demandant aux parents s’ils voulaient lui en donner. C’est bizarre des fois comme une question peut avoir une toute autre signification. Dans ce cas-ci, voulez-vous lui donner du lait? signifiait en réalité : « Les autres passagers sont sur la veille de sauter par les hublots, pourriez-vous calmer votre petit chieux? »

Je ne suis pas aperçu que le printemps était arrivé. Je suis arrivé ici dans le froid intense de l’hiver et j’ai passé les derniers mois à me demander ce à quoi ressemblerait tout ça, tel parc, telle rue, une fois les arbres parés de leurs feuilles. Je me suis souvent demandé comment le chicot planté dans le trottoir devant ma fenêtre se tirerait d’affaire quand la sève lui ravigoterait le tronc et les branches.
J’ai dû somnambuler les derniers jours car je me suis réveillé ce matin et j’ai tout à coup réalisé que tout ça était un fait accompli comme disent les anglos. Tout est vert. Là où on voyait raïte-trou, tout n’est plus que branchage verdoyant qui vous limite l’horizon. Toutes les plates-bandes éjaculent des tulipes dans le décor et je trouve curieux que je n’ai rien vu venir. D’habitude, je suis bon pour sentir venir ces choses-là.
Sur la route de l’autobus, j’ai vu mes premiers lilas. J’ai toujours eu un attachement particulier pour les lilas. Je crois qu’ils me viennent des lilas de mon grand-père, que je n’ai d’ailleurs pas connu puisqu’il est décédé quand j’avais un an. Sa maison était directement en face de celle où je suis né. La porte avant de la grande maison était flanquée de gigantesques lilas de part et d’autre; des mauvâtres comme il se doit mais aussi des blancs. Je ne me souviens pas qu’il y avait d’autres lilas blancs à Paquetville. Tout le monde apportait des lilas à sa maîtresse, l’enseignante bien entendu. À tous les débuts d’été, la maîtresse en question se retrouvait donc envahie de cette fleur qui donnait à la classe des airs de salon funéraire et à la principale intéressée des relents d’embaumée vivante. J’étais le seul à en apporter des blancs ce qui avait le don de la ravir et d’attirer des commentaires dont je m’enorgueillissais.
Ceux que j’ai vus ce matin était le long du Transitway, site bien moins enchanteur que la cour avant de mon aïeul.
Cette cour avait de particulier qu’elle accueillait chaque année la Fête-Dieu, cérémonie qui avait cessé bien avant ma naissance. Je n’ai donc jamais vu cette procession qui devait donner des airs pompeux au petit village où je suis né. J’étais fasciné par cette fête et par ce grand-père qui avait prévu sa maison et sa cour avant en fonction de cette célébration. Le balcon à deux étages de la devanture servait même d’autel et le petit pont qui la reliait à la rue principale (que les plus vieux appelait le chemin du roi - combien approprié pour la circonstance) était en fait destiné à permettre au curé qui marchait sous son dais de s’avancer cérémonieusement et, surtout, symétriquement vers le balcon/autel. Pas surprenant qu’il était facile de trouver des prêtres à cette époque car il devait y en avoir dans la foule qui enviaient le prélat de toute cette attention, attifé qu’il était de ses plus beaux apparats, protégé du soleil par le dais supporté par quatre paroissiens-sujets.
Mon grand-père, lui, préférait accueillir tout ce beau monde et avait construit sa maison avec cette démonstration en tête. Peut-être que je retiens ça de lui parce que moi aussi je préfère accueillir la parade que d’en être l’objet. Chacun son trip!

vendredi 11 mai 2007

44. Le tango d'OCTranspo

Ce matin, j'ai reçu un appel sur mon cellulaire. Je l'ai ensuite déposé sur mon bureau en me disant que je ferais bien de ne pas l'oublier. Plusieurs fois pendant la journée, je me suis dit que j'allais l'oublier au bureau. J'étais presque rendu à mon appartement quand j'ai réalisé que je ne l'avais pas. Je l'avais oublié au bureau.
Je suis donc retourné le chercher ce soir étant donné que je pars pour quelques jours. Le soir, les autobus sont beaucoup moins fréquents que le jour. J'ai mis un gros deux heures à faire le trajet aller-retour et ça m'a écoeuré un peu.
Ça m'écoeure aussi de ne pas trouver les mots pour décrire le mouvement des personnes qui sont précipitées vers l'arrière de l'autobus quand il démarre et qu'ils n'ont pas eu le temps de s'asseoir. Ce que j'aime bien de cette petite danse folle, c'est que tout le monde y passe. La petite madame toute pincée, l'homme d'affaire qui se prend pour un autre, l'ado nonchalant qui se crisse du monde. Tous, ils deviennent des pantins désarticulés quand l'autobus part et qu'ils ne savent plus ou s'agripper pour ne pas se câlicer à terre. C'est un spectacle que j'adore et je pourrais passer des heures à regarder les gens perdre le contrôle de leur corps au profit de la théorie du corps en mouvement qui reste en mouvement jusqu'à ce qu'une force extérieure.. blah blah blah

lundi 7 mai 2007

43. Aldo

Ça vous arrive des fois de ne pas savoir quoi penser? Ben moi ça m'est arrivé tout à l'heure.
Voilà. Je devais vivre un manque quelconque car je suis entré chez Aldo et j'ai demandé à la vendeuse (mignonne et gentille comme tout d'ailleurs) pour trois paires de chaussures, toutes que j'avais l'intention d'acheter pour de vrai.
La première, elle a dû aller chercher la pareille dans la vitrine alors elle s'est déchaussée pour aller se promener là-dedans et il y avait quelque chose de très sensuel dans sa façon de retirer ses chaussures. Bon, c'est pas pour ça que je voulais les chaussures mais quand même, ça m'aurait dérangé de l'avoir dérangé comme ça sans rien acheter.
Ça lui a pris du temps à rassembler les trois paires que je recherchais car après la vitrine, je crois qu'elle est descendue au sous-sol ou quelque chose du genre. J'avais du temps à tuer, disons, avant qu'elle arrive avec la camelote.
Alors je regarde ici et là des bidules de tout genre. Je prends un bracelet que j'aime bien et je regarde le mécanisme. Je l'essaie, je décide de l'acheter. Ce sera au moins ça de pris pour la belle petite vendeuse si les galoches ne me conviennent pas. Je regarde les colliers. Et là, je le vois.
Un chapelet.
Aldo vend des chapelets.
Y'a des ados qui achètent des chapelets chez Aldo.
Là, je me dis que ça doit pas être un vrai chapelet comme du temps de la fête de Sainte-Anne. J'essaye de me souvenir à quoi ça ressemble. Je me souviens vaquement qu'il devrait y avoir dix grains entre les gros grains. Il y en a dix. C'est bien un chapelet avec le Christ qui pend au bout et tout et tout. Un chapelet chez Aldo.
Bon. C'est pas que je suis religieux ou rien. D'ailleurs, pour les grains, je ne me souviens même pas parce que je ne crois pas que j'ai déjà récité un chapelet de prières. Si je l'ai fait, j'ai sûrement triché parce que je ne peux pas m'imaginer avoir autant de patience.
Bon. Peut-être que je m'inquiète pour rien. Je ne sais pas. Vous en pensez quoi vous des chapelets qu'on achète chez Aldo?

dimanche 6 mai 2007

42. Des hommes et des hommes

C'est dimanche et il fait un temps superbe ici. C'est le printemps. J'étais enfermé depuis vendredi dans un sous-sol d'hôtel pour une conférence mais c'est terminé et j'en ai profité pour me balader dans les rues de la ville.
J'ai vu une famille de Japonais avec la mère et la fille sur le trottoir qui aidaient le père à se stationner sur une rue vide. Elle le dirigeaient vers l'avant, vers l'arrière pour être certain qu'il soit bien entre les lignes blanches. J'ai pensé leur dire qu'ici on s'en fout et que comme il n'y a aucun autre véhicule à l'horizon, il peut bien se stationner tout croche pis qu'on s'en sacre-tu mais je n'ai rien dit. Je me suis dit que dans quelques générations, ils finiraient bien par comprendre.
J'ai suivi une mère qui poussait un landau avec son fiston de 3 ans qui marchait à côté. Il aimait le bruit des semelles de ses souliers neufs sur le ciment du trottoir et les laissait traîner. Alors elle s'est mise à lui dire « Non Sébastien, lève tes pieds pour marcher. Faut pas les laisser traîner. » De temps en temps, il essayait quand même. Je crois vraiment que ça lui plaisait bien d'entendre ses semelles traîner sur le ciment du trottoir. Mais elle enfilait son refrain interminable : « Non Sébastien, lève tes pieds pour marcher. Faut pas les laisser traîner. » J'avais le goût de lui dire que peut-être que Sébastien aimait bien entendre le bruit de ses semelles sur le trottoir mais je n'ai rien dit. Je me suis dit qu'un jour Sébastien aller lui coller ses semelles au cul et lui demander s'il les avait levé assez haut ses pieds ou si elle voulait qu'il les lève encore plus haut.
J'ai vu des personnes noires descendre d'un autobus de touriste pour visiter la colline parlementaire. Ils portaient tous des gros chandails de laine qu'ils avaient peut-être acheté à l'aéroport ou que l'agence de voyage leur avait fourni. Je n'ai rien dit, rien pensé. Juste peut-être qu'ils allaient sans doute avoir chaud.
À la fin de la conférence, je suis sorti bruncher avec deux collègues. On ne se connaît pas beaucoup et c'était une bonne occasion pour une rencontre moins formelle que les occasions qui se présentent au bureau. En marchant vers le resto, je me retrouve pogné dans des discussions d'homme : le hochey et les belles femmes qu'il y avait au congrès. Ça promet.
On arrive au resto. On commande. On fait un commentaire sur les boules de la serveuse. On exclut la personne qui parle, vous l'aurez deviné.
Inévitablement, on finit toujours par ma poser la question au sujet de ma maison et de mes enfants. C'est normal. Je commence toujours en disant que j'ai gardé ma maison là-bas pour que ma fille puisse continuer d'y vivre. Invariablement, on me demande si elle y vit seule. À chaque fois, je réponds qu'elle vit avec mon copain. Cette fois-ci, il y a une variable :
- Le chum de ton ex?
- Non, mon chum à moi.
- Ahhh.. T'as un ami qui s'occupe d'elle.
Bon. Je pourrais en rester là et ne pas apporter d'autres précisions. Mais ça pourrait avoir l'air de cacher quelque chose.
- Non, c'est mon chum à moi. Le gars qui partage ma vie.
Alors là, il s'est passé quelque chose d'étrange. Ils semblent avoir cru que je leur faisais une grande confidence. Une grande révélation du genre de celles qui en attirent une autre. (Moi, je répondais juste le plus clairement possible à la question initiale « Ta fille vis-tu toute seule dans ta maison? »)
Celui qui était témoin du dialogue s'est senti interpellé le premier; l'autre suit tout de suite après et confient des choses très personnelles qui battent à plate couture mon pseudo-coming-out. Tout ça finir en thérapie de groupe qui me mettent un peu mal à l'aise. Moi, je voulais juste répondre à la question.
Mais je pense que ça leur a fait du bien aux gars. Ils ont même avoué qu'ils n'avaient jamais parlé de tout ça. Je me suis bien retenu d'ajouter que je ne leur avais pas confié un grand secret; ça aurait jeté comme une douche froide sur ce qui fut quand même un moment intense.
À un coin de rue, je me sépare des deux gars qui retournent à l'hôtel. Les deux me font un gros hug que je trouve touchant, comme pour me dire que tout est ok. Et là, ILS se font aussi un gros hug et moi, le cave, je dis : « Mais vous retournez pas à l'hôtel ensemble? »
Alors là, c'est euh h eu hheumm... Celui qui avait initié le geste précise : « C'est juste pour pas oublier de le faire quand on va se séparer tout à l'heure. »
Fiou. L'honneur est sauvé. Ils retournent vers l'hôtel tous les deux. Je les salue de la main. Ils font le coin et disparaissent.
Je parie qu'ils sont revenus aux boules de la serveuse ou au hockey.

samedi 5 mai 2007

41. Vertige, trémolo et tournis

Ma crisette se poursuit... un vertige identitaire, comme le disait un collègue. Il est réputé pour créer des néologismes de son propre crû qui vous en bouche un coin parce qu'il vous faut quelques bonnes minutes pour tout remettre en contexte et finalement comprendre ce qu'il raconte.
Vertige identitaire, donc, me convient bien ce matin. J'arrive dans la grande salle où se tient une conférence. Une vieille connaissance de l'Ouest me présente à son voisin de table : « Il travaille à Ottawa mais c'est un Acadien. Comme dirait mon père : C'est du bon monde comme nous autres. » Trémolo identitaire.
Le conférencier se pointe. C'est un Québécois qui a fait toutes ses études aux États-Unis et sa biographie est la plus longue de toutes celles du cahier de la conférence. Il est docteur au cube. Il s'est doté d'un petit accent british qui colle bien à son érudition toute américaine.
Je n'ai franchement aucune idée de ce qu'il a raconté. Je sais qu'il a grafigné Bush de temps en temps mais c'est bien la mode chez les intellos. Il a raconté des histoires d'horreur qui se déroulent dans les écoles américaines mais il regarde peut-être trop les nouvelles ou les reality shows.
Ce que je retiens de lui, c'est qu'il a gardé quelque chose de français, malgré son parcours on ne peut plus anglais. Il doit faire dans la soixantaine mais il est resté mince (les Amerlos sont gros; tout le monde sait ça). Il a les cheveux longs, teints de toute évidence, aux reflets brun roux, ce qui contrevient tout à fait à l'image du grand sage titulaire de chaire universitaire. (C'est difficile d'imaginer un grand chercheur sur la chaise d'une coiffeuse qui lui applique sa teinture en lui racontant le dernier Harlequin et en se frottant les seins tout partout.) Et il porte des petites lunettes à la Harry Potter alors que les Américains se passent les montures de génération en génération jusqu'à ce qu'elles reviennent à la mode de temps en temps.
Bref, il a conservé une partie de son identité francophone malgré lui. Tournis identitaire.

vendredi 4 mai 2007

40. Une vache ou un nombril?

Je participe à une conférence ces jours-ci. J'ai revu une amie que je n'ai pas reconnu tout de suite. Je la voyais marcher et je pensais : Elle marche comme mon amie. Ensuite, elle m'a fait un petit salut de la main et j'ai vu que c'était elle.
Elle s'est rasé la noix. Ça surprend un peu car elle avait de beaux cheveux. (Elle les a probablement encore mais ils ne paraissent pas.) Elle m'a dit qu'elle avait fait ça pour l'environnement car elle les teignait et elle ne veut plus les teindre. Au lieu de se taper la repousse, elle a décidé de raser. Ça va repousser gris.
Ça m'a pris un peu de temps à m'habituer mais j'ai focusé sur les trous qu'elle a partout sur les oreilles et ça m'a remis dans le bain. Mon amie, elle a des trous partout sur les oreilles avec des boucles, des trucs qui pendent partout et qui les lui transpercent de bord en bord. (Faut voir pour comprendre, c'est difficile à expliquer.)
Elle m'a parlé de shakras et d'autres machins spirituels auxquels je ne comprends pas grand chose. Mais ça ne me dérange pas de ne pas comprendre car mes shakras, ils ont l'air de bien se débrouiller sans mon aide et s'ils ne me font aucun signe, c'est que tout va bien.
À un certain moment, on a parlé de langue et de culture. Les minoritaires, on aime bien tirer la langue et la culture à bout portant dans une conversation. Ça rassure, surtout dans un méli-mélo de shakras.
Moi, je suis resté accroché là-dessus. Car je vis un petit conflit intérieur.
La langue, ça va. Je parle français et je suis Acadien, je crois l'avoir mentionné. Ça m'attire les conneries au sujet de l'accent de temps en temps mais bon. La semaine dernière, on était trois Acadiens. Le gars, il nous dit : Ahhh.. je vois que vous avez une belle accent! Tous les trois, on s'est télépathié le même message : Ahhh.. je vous que vous êtes pas fort avec le genre des noms!
Mais on l'a pas dit. C'est aussi ça être Acadien. On a souvent des bonnes réparties mais on se les garde pour soi.
J'ai donc accepté que je parle une langue commune à d'autres qui croient en posséder les droits d'usage et qui ne peuvent s'empêcher de commenter quand on y déroge, selon leurs normes, pas toujours justes d'ailleurs. (Pour ce qui est du genre en tout cas.)
Mais la culture, c'est une autre affaire. Il m'arrive souvent de penser que je ne l'ai pas en commun avec ceux qui parlent ma langue. Est-ce une histoire de minoritaire / majoritaire? Sais pas.
Si je me tire d'affaire avec la langue, je suis maladroit dans la culture de l'autre. Et l'autre est maladroit dans ma culture. Bref, on se blesse. On parle la même langue mais on ne l'utilise pas dans la même culture. ou dans le même esprit.
Tous les filles de la famille de ma mère ont émigré au Québec dès qu'elles en avaient l'âge. Ma mère compris. Elles allaient travailler dans des « maisons privées » que les congrégations religieuses équipaient en bonnes servantes acadiennes, moyennant une cotisation aux oeuvres qu'elles chérissaient. Ma mère est une des seules qui a épousé un gars de son village; les autres s'étant toutes fait engrosser par un Québécois une fois rendu là-bas.
Tous les étés, ses sept soeurs déboulaient littéralement du train, saoûles sans bon sens parce qu'elles avaient fait le trajet assises au bar, suivies de leur marmaille dont elles venaient par la même occasion se débarasser pour les mois d'été. Fait trop chaud à Montréal, qu'elles disaient. Elles repartaient donc quelques jours plus tard, toujours aussi saoûles parce qu'elles avaient passé leur temps dans le frigo de mes parents, au point que mon père devait faire un inventaire pour être certain qu'elles étaient toutes à bord quand le train s'ébranlait. En laissant derrière elles leurs rejetons montréalais que mes parents nourriraient et entretiendraient pour l'été. Ma mère disait qu'elle les torchait, mais ça c'est une autre histoire.
Mon cousin Serge est tombé sur le cul quand il a vu une vache. Il n'en avait vu qu'en photo et s'imaginait que ça ne pouvait être plus gros qu'un chien. (C'est vrai que sur la rue où il habitait, le plus gros animal qui soit était sans doute un chien.) Personne n'a ri de lui.
La première fois où mon cousin Serge a entendu le mot «nombourri » pour «nombril», il a tellement ri que nous pensions tous qu'il ne s'en remettrait pas.
Une vache ou un nombril? La langue ou la culture?