dimanche 6 mai 2007

42. Des hommes et des hommes

C'est dimanche et il fait un temps superbe ici. C'est le printemps. J'étais enfermé depuis vendredi dans un sous-sol d'hôtel pour une conférence mais c'est terminé et j'en ai profité pour me balader dans les rues de la ville.
J'ai vu une famille de Japonais avec la mère et la fille sur le trottoir qui aidaient le père à se stationner sur une rue vide. Elle le dirigeaient vers l'avant, vers l'arrière pour être certain qu'il soit bien entre les lignes blanches. J'ai pensé leur dire qu'ici on s'en fout et que comme il n'y a aucun autre véhicule à l'horizon, il peut bien se stationner tout croche pis qu'on s'en sacre-tu mais je n'ai rien dit. Je me suis dit que dans quelques générations, ils finiraient bien par comprendre.
J'ai suivi une mère qui poussait un landau avec son fiston de 3 ans qui marchait à côté. Il aimait le bruit des semelles de ses souliers neufs sur le ciment du trottoir et les laissait traîner. Alors elle s'est mise à lui dire « Non Sébastien, lève tes pieds pour marcher. Faut pas les laisser traîner. » De temps en temps, il essayait quand même. Je crois vraiment que ça lui plaisait bien d'entendre ses semelles traîner sur le ciment du trottoir. Mais elle enfilait son refrain interminable : « Non Sébastien, lève tes pieds pour marcher. Faut pas les laisser traîner. » J'avais le goût de lui dire que peut-être que Sébastien aimait bien entendre le bruit de ses semelles sur le trottoir mais je n'ai rien dit. Je me suis dit qu'un jour Sébastien aller lui coller ses semelles au cul et lui demander s'il les avait levé assez haut ses pieds ou si elle voulait qu'il les lève encore plus haut.
J'ai vu des personnes noires descendre d'un autobus de touriste pour visiter la colline parlementaire. Ils portaient tous des gros chandails de laine qu'ils avaient peut-être acheté à l'aéroport ou que l'agence de voyage leur avait fourni. Je n'ai rien dit, rien pensé. Juste peut-être qu'ils allaient sans doute avoir chaud.
À la fin de la conférence, je suis sorti bruncher avec deux collègues. On ne se connaît pas beaucoup et c'était une bonne occasion pour une rencontre moins formelle que les occasions qui se présentent au bureau. En marchant vers le resto, je me retrouve pogné dans des discussions d'homme : le hochey et les belles femmes qu'il y avait au congrès. Ça promet.
On arrive au resto. On commande. On fait un commentaire sur les boules de la serveuse. On exclut la personne qui parle, vous l'aurez deviné.
Inévitablement, on finit toujours par ma poser la question au sujet de ma maison et de mes enfants. C'est normal. Je commence toujours en disant que j'ai gardé ma maison là-bas pour que ma fille puisse continuer d'y vivre. Invariablement, on me demande si elle y vit seule. À chaque fois, je réponds qu'elle vit avec mon copain. Cette fois-ci, il y a une variable :
- Le chum de ton ex?
- Non, mon chum à moi.
- Ahhh.. T'as un ami qui s'occupe d'elle.
Bon. Je pourrais en rester là et ne pas apporter d'autres précisions. Mais ça pourrait avoir l'air de cacher quelque chose.
- Non, c'est mon chum à moi. Le gars qui partage ma vie.
Alors là, il s'est passé quelque chose d'étrange. Ils semblent avoir cru que je leur faisais une grande confidence. Une grande révélation du genre de celles qui en attirent une autre. (Moi, je répondais juste le plus clairement possible à la question initiale « Ta fille vis-tu toute seule dans ta maison? »)
Celui qui était témoin du dialogue s'est senti interpellé le premier; l'autre suit tout de suite après et confient des choses très personnelles qui battent à plate couture mon pseudo-coming-out. Tout ça finir en thérapie de groupe qui me mettent un peu mal à l'aise. Moi, je voulais juste répondre à la question.
Mais je pense que ça leur a fait du bien aux gars. Ils ont même avoué qu'ils n'avaient jamais parlé de tout ça. Je me suis bien retenu d'ajouter que je ne leur avais pas confié un grand secret; ça aurait jeté comme une douche froide sur ce qui fut quand même un moment intense.
À un coin de rue, je me sépare des deux gars qui retournent à l'hôtel. Les deux me font un gros hug que je trouve touchant, comme pour me dire que tout est ok. Et là, ILS se font aussi un gros hug et moi, le cave, je dis : « Mais vous retournez pas à l'hôtel ensemble? »
Alors là, c'est euh h eu hheumm... Celui qui avait initié le geste précise : « C'est juste pour pas oublier de le faire quand on va se séparer tout à l'heure. »
Fiou. L'honneur est sauvé. Ils retournent vers l'hôtel tous les deux. Je les salue de la main. Ils font le coin et disparaissent.
Je parie qu'ils sont revenus aux boules de la serveuse ou au hockey.

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