mercredi 16 mai 2007

46. À la recherche du spiritou

J'étais à Winnipeg où j'avais quelques heures à tuer avant mon envolée. Je suis allé marcher dans Saint-Boniface. Je ne sais trop pourquoi mais j'accorde une importance probablement démesurée à ce bastion francophone qui, dans mes fabulations romanesques, ouvre la porte sur l'Ouest.
J'y suis quand même allé déjà à quelques reprises mais là, j'avais du temps. J'ai lu tout ce qu'il y avait à lire sur Taché, Provencher et je me suis même promené dans le cimetière autour de tous ces noms français. Le seul hic, j'apprends que Saint-Boniface était un Anglais. Bon. Je ne sais pas trop quoi en penser mais je n'ai pas aimé ça que Saint-Boniface soit un Anglais.
Je me promène dans les ruines de la cathédrale. Ça doit être parce que tout le monde me parle de sa spiritualité que j'ai envie d'en avoir une. J'essaye bien fort de reconstruire les murs et le toit sans succès. Ce n'est pas ici que je serai foudroyé d'allégresse.
Avec moi dans les ruines il y a cette dame trop vieille pour être la mère des deux enfants qui l'accompagnent et trop jeune pour en être la grand-mère. Ils ont trois ans, trois ans et demi au grand max. Elle veut les prendre en photo mais il ne regardent pas l'objectif, tout occupés qu'ils sont à attraper les grains de pollen qui tournoient dans l'air. Elle jappe un peu après eux et les menace de je ne sais quoi s'ils ne se tiennent pas tranquilles pour la maudite photo.
Je décide d'entrer dans l'édifice faire un effort de recueillement (et m'éloigner d'elle). Je n'ai jamais été porté sur la chose mais je me dis que je peux quand même tenter ma chance.
C'est très invitant là-dedans et je songe un instant à m'allonger sur un banc pour faire un roupillon, ni vu ni connu. Mais je me souviens de mes ambitions spirituelles et me ravise.
Je reste là à ne pas bouger. Si la foi est pour tomber sur moi, mieux vaut rester immobile pour qu'elle ne me rate pas.
Entre un autre touriste, plutôt beau bonhomme. Je me ressaisi encore et me recentre sur mon chaste projet. Je ramasse le livre « D'une seule voix » qui traîne partout entre les bancs. Je me dis que je vais l'ouvrir et avoir une révélation, c'est certain. J'ouvre. C'est des chants. Dieu est comme-ci, Dieu est comme ça, tralala. Je suis un peu déçu.
Je reprends ma pose pieuse, c'est-à-dire que je ne bouge pas. J'entends la mégère beugler après ces deux petits garçons et ça touble le calme. C'est sans doute à cause d'elle que je n'ai pas encore été frappé d'un bon coup de spiritou.
Je regarde au fond de la nef et je me concentre sur le Christ en lévitation qui s'y trouve. Je me concentre mais je vois aussi la petite bonne femme à côté de lui qui lévite elle aussi mais avec une main tournée vers le haut et l'autre tournée vers le bas. C'est comme si elle jouait au Slynky mais pas de Slynky. Ça me déconcentre un peu. Mais qu'est-ce qu'elle fait là de toute façon, Slynky ou pas? De l'autre côté, une croix. On comprend que c'est là pour rappeler au Christ comment tout ça va se terminer. Mais la petite bonne femme, je ne comprends pas.
Je me concentre à nouveau sur le Christ qui lévite. Je me demande comment il fait pour tenir là. Décidément, j'ai de la difficulté à maintenir le cap sur mon état de grâce potentiel. (Après un bout de temps, je décide d'en avoir le coeur net à défaut de l'avoir de sanctifié. Je suis un peu déçu de voir deux grosses barres de soutien lui enfoncer le dos; comme si c'était pas assez d'avoir été crucifié.)
Je fais le tour et je vois une petite salle sur le côté. Je m'approche. Ça y est. À l'intérieur, la pièce est vide sauf pour une petite table basse sur laquelle repose un livre ouvert. J'ose mettre un peu de lumière, défiant sûrement les réglements de l'endroit mais convaincu que c'est le message que j'attendais. Je me dis que j'expliquerai tout ça au bedaud ou au curé et qu'on rigolera de tout ça ensemble.
Je m'approche; je suis fébrile. La table est basse, je suis obligé de m'agenouiller. C'est un autre signe, c'est certain.
Je commence à lire, ému. C'est le passage où Jésus est chez Simon et il y a une pécheresse qui l'embrasse, qui lui lave les pieds avec ses larmes et qui essuie tout ça avec ses cheveux. Et Jésus, il veut savoir pourquoi Simon il n'en fait pas autant.
Je sais pas pour vous mais moi j'en conclus que c'est pas à Saint-Boniface que je fais me fabriquer une spiritualité pour pouvoir épater les copains.
Je sors du lieu saint. Je demande au premier passant s'il n'y aurait pas un Starbucks dans le coin par hasard.

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