mercredi 30 mai 2007

49. Un zèbre à onze heures

Je suis allé dans le pays voisin aujourd'hui pour un congrès syndical, celui du plus gros syndicat québécois, que je ne nommerai pas puisque je vais en parler et qu'on pourrait reconnaître les personnages, fictifs bien entendu. Wink, wink.
Je m'étais pointé là sur une obscure invitation dont je doutais un peu. J'étais quand même curieux de me mêler à cette grosse machine pour voir un peu de quoi il en retourne. Je m'étais imaginé assis dans la dernière rangée, discrètement, mine de rien. Ni vu, ni connu, genre.
Il en fut tout autre. Présentations, tata à la foule, assis au rang d'honneur, photographe à six pouces du nez pour marquer l'événement. Ils font les choses en grand ou ils ont pas de visite souvent.
J'ai quand même retrouvé toute une autre atmosphère que ce que j'avais vu jusqu'à maintenant. Disons que ça redéfinit le syndicalisme. À comparer ce que j'ai entendu, je dirais que partout ailleurs, les congrès équivalent à des soirées sociales.
J'ai quand même dû sourire par un effet du hasard qui m'a évité d'être trop dépaysé. En effet, comme entrée de jeu le président, voulant exprimer le besoin d'action a cité nulle autre qu'Edith Butler qui chantait, paraît-il, qu'il faut chanter pour ne pas disparaître. Un peu plus et je me serais attendu à ce que l'assemblée se lève pour swinger en chantant « Tu peux ben dormir tranquille, tidelida, tidelidou. »
J'ai été toute la journée fasciné par les expressions du président et de ses orateurs invités. Je me rends compte qu'on manque d'images à l'extérieur du Québec. Ou alors on ne réussit qu'à s'inspirer de l'anglais pour accoucher d'expressions pas tout à fait gracieuses. J'en ai répertorié quelques-unes aujourd'hui dont j'ai reconnu facilement la signification :
- s'arracher le poil de la noix (s'arracher les cheveux de la tête)
- s'étendre là pis attendre (ne rien faire)
- s'immoler devant l'Assemblée nationale (faire grand cas d'une situation et s'en faire le défenseur - NDLR inutilisable à l'extérieur du Québec, malheureusement)
- peinturer le salon quand la maison est en feu (probablement quelque chose à voir avec une mauvaise priorisation - inutile à l'extérieur du Québec car Patrimoine canadien subventionne la planification stratégique pour les francophones hors-Québec)
- se monter les gants blancs jusqu'aux épaules (un dérivé de se mettre des gants blancs mais comme l'orateur faisait dans les trois cents livres, l'image était plutôt troublante et j'étais tenté de lui dire qu'il aurait fait peur à n'importe quel interlocuteur avec des gants de petite communiante, pas besoin de les étirer ne serait-ce qu'au coude)
- être dans le trèfle jusqu'à la moitié des genoux (celle-là reste indécodable car 1) le trèfle ne pousse pas si haut 2) c'est quoi ça la moitié du genou? 3) hors-Québec quand on est dans quelque chose jusqu'au genou ou jusqu'au cou, c'est habituellement de la marde, terminologie qu'il me semble difficile d'interchanger avec le trèfle sans y perdre la nuance sémantique)
J'allais quitter sur cette note et je me suis souvenu du titre de ce texte. Un gars que je ne connaissais pas voulait probablement fraterniser et me faire sentir de la gang (s'il avait su le pauvre!). Il me dit : « Heille, eur'gar le zèbre à onze heures. » Bien que je comprenne tous les mots de la phrase pris séparément, je ne sais pas trop ce que ça veut dire. Comme il se doit quand on est nouveau dans la place, je lui souris comme un cave. Il insiste : « Eur'gar, eur'gar le beau ti-zèbre à onze heures, un ti-peu sur ta gauche. » Là, je regarde légèrement à ma gauche et je vois une greluche dans un minuscule chandail rayé noir et blanc mais qui épouse tellement ses formes volupteuses - et même celles qui le sont moins - qu'en effet, tout cela ressemble aux rayures d'un zèbre.
Les rayures étirées par la volupté se déforment, c'est bien connu.

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