samedi 12 mai 2007

45. Des tulipes et des lilas

Il y a des matins qui vous font du bien. J’ai eu la bonne surprise de constater que le vol que je devais prendre aujourd’hui était bien plus tard que ce que j’avais imaginé. Je ne suis donc couché tôt avec un bon livre et avec l’idée que je pourrais traîner au lit à mon réveil. Juste ça, ça m’aide à bien dormir. J’ai roupillé sans interruption comme un chat au soleil. Ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé. J’ai apprécié la quiétude de mon petit studio en me faisant un café, plaisir que j’ai trop peu l’occasion de me payer.
Je suis arrivé à l’aéroport avec une bonne heure d’avance, lu le journal, autre luxe que le rush de la vie ne m’offre pas souvent. (Ça serait-tu que je fais une vie de fou?!) Heureusement que j’ai bien dormi car j’ai un petit braillard dans le siège arrière qui s’égosille depuis que nous sommes dans l’avion. L’agent de bord a apporté un demi-litre de lait en demandant aux parents s’ils voulaient lui en donner. C’est bizarre des fois comme une question peut avoir une toute autre signification. Dans ce cas-ci, voulez-vous lui donner du lait? signifiait en réalité : « Les autres passagers sont sur la veille de sauter par les hublots, pourriez-vous calmer votre petit chieux? »

Je ne suis pas aperçu que le printemps était arrivé. Je suis arrivé ici dans le froid intense de l’hiver et j’ai passé les derniers mois à me demander ce à quoi ressemblerait tout ça, tel parc, telle rue, une fois les arbres parés de leurs feuilles. Je me suis souvent demandé comment le chicot planté dans le trottoir devant ma fenêtre se tirerait d’affaire quand la sève lui ravigoterait le tronc et les branches.
J’ai dû somnambuler les derniers jours car je me suis réveillé ce matin et j’ai tout à coup réalisé que tout ça était un fait accompli comme disent les anglos. Tout est vert. Là où on voyait raïte-trou, tout n’est plus que branchage verdoyant qui vous limite l’horizon. Toutes les plates-bandes éjaculent des tulipes dans le décor et je trouve curieux que je n’ai rien vu venir. D’habitude, je suis bon pour sentir venir ces choses-là.
Sur la route de l’autobus, j’ai vu mes premiers lilas. J’ai toujours eu un attachement particulier pour les lilas. Je crois qu’ils me viennent des lilas de mon grand-père, que je n’ai d’ailleurs pas connu puisqu’il est décédé quand j’avais un an. Sa maison était directement en face de celle où je suis né. La porte avant de la grande maison était flanquée de gigantesques lilas de part et d’autre; des mauvâtres comme il se doit mais aussi des blancs. Je ne me souviens pas qu’il y avait d’autres lilas blancs à Paquetville. Tout le monde apportait des lilas à sa maîtresse, l’enseignante bien entendu. À tous les débuts d’été, la maîtresse en question se retrouvait donc envahie de cette fleur qui donnait à la classe des airs de salon funéraire et à la principale intéressée des relents d’embaumée vivante. J’étais le seul à en apporter des blancs ce qui avait le don de la ravir et d’attirer des commentaires dont je m’enorgueillissais.
Ceux que j’ai vus ce matin était le long du Transitway, site bien moins enchanteur que la cour avant de mon aïeul.
Cette cour avait de particulier qu’elle accueillait chaque année la Fête-Dieu, cérémonie qui avait cessé bien avant ma naissance. Je n’ai donc jamais vu cette procession qui devait donner des airs pompeux au petit village où je suis né. J’étais fasciné par cette fête et par ce grand-père qui avait prévu sa maison et sa cour avant en fonction de cette célébration. Le balcon à deux étages de la devanture servait même d’autel et le petit pont qui la reliait à la rue principale (que les plus vieux appelait le chemin du roi - combien approprié pour la circonstance) était en fait destiné à permettre au curé qui marchait sous son dais de s’avancer cérémonieusement et, surtout, symétriquement vers le balcon/autel. Pas surprenant qu’il était facile de trouver des prêtres à cette époque car il devait y en avoir dans la foule qui enviaient le prélat de toute cette attention, attifé qu’il était de ses plus beaux apparats, protégé du soleil par le dais supporté par quatre paroissiens-sujets.
Mon grand-père, lui, préférait accueillir tout ce beau monde et avait construit sa maison avec cette démonstration en tête. Peut-être que je retiens ça de lui parce que moi aussi je préfère accueillir la parade que d’en être l’objet. Chacun son trip!

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