Elle débarquait chez-nous - chez son frère en fait - tous les étés pour une durée qu'elle espérait la plus longue possible, mais qui durait rarement plus d'un mois. Un mois que ma mère passait à imaginer toutes sortes de raisons pour se débarasser de cette belle-soeur fatiquante : d'autre visite s'en venait, ma mère se trouvait un bobo, et quoi encore. Ce à quoi ma tante Lydia rétorquait qu'on ne s'apercevrait pas de sa présence et qu'elle mangeait comme un oiseau.
Les intentions des uns n'avaient rien à voir avec les préoccupations des autres. Ma tante Lydia devait crécher au Canada pendant six mois pour ne pas perdre sa citoyenneté et, ultimement, la mystérieuse pension de son mari, oncle qui était déjà dans un coma profond quand je suis né, et qui s'y trouve peut-être encore, qu'est-ce que j'en sais. Mes parents, eux, s'en foutaient bien et voulaient simplement qu'elle disparaisse. C'est un des rares sujets qui faisait autant d'unanimité entre mes parents. Mon père avait une aversion pour sa soeur qui devait remonter à bien loin car personne ne l'a jamais fait autant sortir de ses gonds. Ma mère, quant à elle, haïssait passionnément sa belle-soeur, peut-être pour la vie qu'elle menait et qu'elle enviait secrétement.
Car l'oiseau qui picorait au bout de la table de la cuisine pendant quelques semaines passait les autres six mois de l'année à Miami, qu'elle prononçait Maille-ahh-mi, pour faire chier ma mère juste un peu plus. Quand elle débarquait dans mon petit village qui sentait le fumier et les relents des toilettes-de-dehors, ma tante Lydia avait un bronzage impeccable et clinguait de tous feux sous ses bijoux dorés. Elle est probablement la première femme dont j'ai vu les ongles des orteils soigneusement manicurés et colorés d'un vernis rose (un rose très sexy), sortant tout droit de sandales dorées, elles aussi. Ma mère marmonnait entre les dents, en la voyant, qu'elle l'enverrait bien faire le train de grange ainsi attriquée.
Toujours picorant sur un craquelin - je la soupçonne d'avoir introduit ce mot dans mon vocabulaire, nous qui avions toujours appellé ça un biscuit soda, toutes sortes confondues - elle racontait à ma mère ses croisières dans les îles du Sud avec monsieur Machin et madame Chose, du ben bon monde avec qui elle était amie là-bas à Maille-ahh-mi. Entre deux sonneries qui rappelaient ma mère aux clients du magasin général que nous tenions, ma tante Lydia racontait les somptueuses soirées auxquelles elle était invitée, pendant que ma mère brassait rageusement son chaudron de patates qui colleraient sûrement si un client devait prendre trop de temps au magasin.
Je revois ma tante Lydia, toute digne et pimpante, bien bronzée, cheveux blonds éclatants, bijoux reluisants, avec ses jambes enlacées sous la table, révélant ses ongles parfaitement vernis.
* * *
Je doute cependant que ma tante Lydia ait eu la vie aussi facile qu'il n'en paraissait. À Miami, elle louait un 4 pièces dont elle sous-louait une des chambres pour survivre. Un genre de bed & breakfast. La fameuse pension qu'elle attendait ne semble jamais être arrivée, et si elle revenait squatter chez mon père tous les étés, c'est qu'elle devait sans doute maintenir cet appartement là-bas pendant ses six mois au Canada, tout en ne recevant pas le revenu que la location de sa chambre lui procurait. L'été, c'est mort pour le tourisme à Maille-ahh-mi de toute façon.
Je retiens d'elle qu'elle était faite pour faire la grosse vie, et elle s'est arrangée pour la frôler pendant plusieurs années. Elle a sans doute fait ces fameuses croisières, et je ne doute aucunement qu'elle ait courtisé la crème de Maille-ahh-mi lors de soirées mondaines car elle avait tout ce qu'il fallait pour s'y glisser : la classe, l'apparence et le discours.
Ma tante Lydia, c'était un brin de rêve américain qui débarquait dans ma vie à chaque été.
mardi 4 janvier 2011
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