mardi 4 novembre 2008

81. Le retour de l’enfant prodige

Tout à fait cliché mais c’est bien comme ça que je me sens ce soir en me préparant pour aller faire un visite éclair dans mon coin de pays natal. Tout est parti d’un voyage d’affaire que j’ai décidé de prolonger de quelques jours. En fait, d’un soir au Nord pour voir ma mère et d’un soir au Sud pour voir ma fille. Quelque chose de très ordinaire quoi.
Or je reçois un appel de ma frangine qui me demande des détails sur mon arrivée, question de réunir la famille au grand complet, chose qui ne s’est pas produite depuis un siècle ou deux. Voilà qui suffit pour que mon imagination – terreau fertile s’il en est – se mette à imaginer des scènes de retrouvailles bourrées d’émotions, digne du retour de l’enfant prodige au bercail. Je sais déjà que tout ce qui sera truffé lors de cette rencontre seront les classiques œufs farcis frettes préparés le soir d’avant à la mayonnaise douteuse mais rien ne peut m’empêcher de penser que c’est un moment un peu spécial, ne serait-ce que parce qu’il a pour prétexte mon humble présence auprès des mes frères et sœurs aînés et que mon statut de petit dernier m’oblige à jouer au grand garçon. Bref, ce qui devait être tout simple prend des proportions innatendues.
Je me retrouve tôt à l’aéroport, ayant prévu y prendre mon petit-déjeuner. Mon premier reflexe est de me demander ce que j’ai bien pu oublier à la maison. J’ai peu dormi, trop intéressé à me faire une liste mentale de ce que je devrais préparer à mon pseudo-réveil. Choisir un livre assez mince pour glisser dans mes bagages, dans la pile de mes achats des derniers mois que je n’ai pas le temps de lire figure à celle-ci. Elle figure aussi au palmarès des choses que j’ai oubliées. Je me retrouve donc à la librairie de l’aéroport par pur reflexe comme le fumeur chronique qui s’achète des cigarettes.
Comme d’habitude, la sélection en français est assez mince et je me demande s’il existe un contraire à l’expression « l’embarras du choix ». Je n’en trouve aucune et je suis tenté par un titre d’Amélie Nothomb que je ne connais pas. Ce doit être nouveau car il me semble que j’ai tout lu ce qu’elle a écrit même si je n’aime pas particulièrement. Elle est de ces auteurs qui ont écrit un truc qui m’a plu et dont j’ai lu le reste des œuvres en quête de la même extase. De plus, j’ai un peu peur d’elle et de ce que son esprit tordu pourrait bien pondre un jour. J’ai bien quelques amies sorcières – c’est bien pratique – mais pas du genre qui vous annonceraient la fin du monde sur un ton badin comme cette Nothomb pourrait le faire.
Mon choix – ou mon pas de choix – tombe sur Kathy Reichs, une Américaine qui vit au Québec et dont le titre du livre traite d’Acadie. De Tracadie, pour être plus précis. C’est traduit et je me délecte déjà des anachronismes et des allures tordues que prendra certainement Tracadie dans la tête d’une Américaine qui n’a entendu parler des Acadiens que de la bouche des Québécois. Je feuillette et j’achète d’un pas décidé, sourire entendu irréprésible : l’héroïne s’appelle Évangéline, ça va être tordant.
Je ne suis pas déçu : Évangéline a 10 ans et son livre préféré qu’elle traîne sur une plage de la côte américaine n’est rien de moins que le poème lyrique de Longfellow. Son passe-temps de vacances ? Évider du poisson avec son oncle. Cette fillette parle de la déportation comme si elle était née avec une carte-puce de la bibliothèque du Centre d’études acadiennes rivée dans le cervelet. C’est à mourir de rire et je passe trois mouchoirs à m’essuyer les yeux pendant mon petit-déjeuner.

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