vendredi 24 avril 2009

114. Obèse et heureux

Je suis présentement à un congrès sur l'obésité. Étant moi-même obèse depuis quelques années, le sujet m'intéressait mais le programme promettait d'examiner la chose sous les angles de l'adolescence, des différents genres d'obésité, des différences entre l'obésité chez les hommes et les femmes, et plein d'autres trucs avec lesquels je suis moins familier. C'est pas parce qu'on est obèse qu'on connaît toutes les recettes de foie gras.
La plupart des présenta-teur-trice-s et des anima-teur-trice-s sont obèses. Pour certain-taine-s, on s'en doute dès le début; d'autres l'avouent au cours de leur présentation. D'une façon ou d'une autre, personne n'est vraiment surpris. La majorité des gens dans la salle est obèse de toute façon. Jusqu'à maintenant, la plupart des présentations portent sur les aspects négatifs de l'obésité alors que moi je n'ai pas vraiment vécu mon état négativement. Je suis gros, je m'assume, je suis bien dans mon enrobage. Tiens, déjà je viens de dire un mot tabou. Le gros mot qui commence par un "G".. Gros, bien entendu. Plusieurs témoignages portaient justement sur la situation des écoles où des ados se font traiter de "gros" dans les corridors, certains qui subissent même de la violence physique. Quelques gros se sont suicidés, on en connaît tous.
Je n'ai jamais caché que j'étais gros. Au cours la journée, je me suis d'ailleurs demandé depuis quand je le suis... Certains ont avoué le savoir depuis qu'ils sont aussi jeunes que quatre ans, en se regardant dans le miroir, souvent. Est-ce que je le savais? Est-ce que je m'en doutais? Le miroir ne me renvoyait pas cette image en tout cas. Je me souviens avoir été envieux de l'apparence de certains obèses dans mon adolescence mais j'y voyais là pure jalousie: j'aurais voulu moi aussi être si bien enrobé alors que la nature ne m'avais pas fait ainsi et continue de me mettre au défi.
C'est beaucoup plus tard dans la vie que l'obésité est devenue une caractéristique identitaire pour moi. Sans doute que si je l'avais pas découvert, des congrès comme celui-ci me feraient réfléchir. D'ailleurs, je dois reconnaître que je me sens bien avec d'autres gros.
Est-ce qu'on naît gros? Malgré le fait que je n'en étais pas conscient, je crois que oui. J'ai grandi dans un village où tout le monde semblait grignoter du céleri. Je suppose qu'il y en avait qui mangeait des éclairs au chocolat en cachette comme partout. Mais je n'en étais pas conscient, sauf dans des cas extrêmes: un vieillard qui se cachait dans son hangar pour se gaver de friandises avec les enfants du coin et un autre qui rêvait ouvertement d'être pâtissier. Je ne m'identifiais ni à l'un, ni à l'autre.
J'ai quand même beaucoup de compassion pour tous ceux et celles qui souffrent ou qui ont souffert de leur différence. Je crois la comprendre même si je ne l'ai pas vécue.
Maigre à nouveau, moi? Non, je le pense pas. Ça ne m'empêche pas de bien aimer les maigrichons et même quelques maigrichonnes. J'ai des bons amis qui sont squelettiques. Mais moi, avec le temps, je dois bien l'admettre: j'aime trop les desserts.
Je suis gros et heureux. Très. Avec tous les synonymes que le mot comporte.

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