Je dinais avec une amie, elle aussi parent d'ados, et on piaillait à tout rompre sur les méfaits du clavardage chez la nouvelle génération, des effets pervers de cette communication électronique qui nous soustrait à l'obligation de se dire les choses dans le blanc des yeux et de se regarder en face. Je lui racontais qu'il n'était pas rare de voir les jeunes débouler de l'autobus scolaire en se précipitant vers leur ordi pour chatter avec leurs amis, avec qui ils viennent de passer la journée.. sans s'adresser la parole.
Puis je me suis souvenu de ma première blonde, le premier grand amour de ma vie, une fille de 5e année B aux grands yeux bleus et aux cheveux bruns. Elle portait souvent un chandail turquoise et j'aimais bien son chandail turquoise. Peut-être que ça allait bien avec ses yeux mais qu'est-ce que j'en sais?
Donc environs 11-12 ans qu'elle avait la fille. Et ses parents avaient déjà décidé pour elle qu'elle serait promise à un bon garçon de son petit village alors elle était triste toujours avec ses grands yeux. Et moi j'aimais pas la voir triste. Alors à tous les soirs, je lui écrivais une lettre que je mettais dans une enveloppe et que je lui remettais le lendemain pour qu'elle lise en secret rendue chez elle. Elle avait pas le droit de la lire sur l'autobus car elle aurait risqué que quelqu'un lui chipe la lettre et rigole avec les potes et que ce soit la fin du monde, rien de moins. Donc, elle attendait d'être rendue chez elle, d'avoir aidé sa mère à préparer le souper, car vous l'avez deviné, c'était une bonne fille. Ensuite, elle montait sagement à sa chambre mansardée (bon je sais pas - j'ai jamais vu sa chambre mais j'aime penser qu'elle avait une chambre mansardée avec ses grands yeux et son chandail turquoise) et elle se garrochait sur la lettre comme une folle perverse assoiffée de mots. Elle lisait mes messages enflammés de toute l'énergie calorifère de mes onze ans et... y répondait, de sa belle écriture apprise par les Soeurs mais avec la touche spéciale de ses grands yeux.
Ça a duré deux ans! Ses dernières lettres m'annonçaient que son futur avait commencé à venir souper à la maison les dimanches soirs. (Vrai, vrai, même si je sais que j'ai l'air de raconter quelque chose sorti tout droit des Filles de Caleb.)
Je l'ai perdu de vue pendant plusieurs années. À vingt ans, mon emploi d'été comme étudiant était à la régie des alcools de mon village et je l'ai revue. Elle était venue au magasin, avec lui, acheter le vin et la bière, avec le permis nécessaire, pour ses noces.
On ne s'est pas parlé mais on s'est beaucoup regardé et ses yeux, ils étaient encore tristes.
mardi 26 août 2008
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