vendredi 18 juillet 2008

71. Les préparatifs - Tome I

Le jour J approche à grand pas. La maison est vendue, les prochains proprios ont même fait livrer trop tôt leur nouvelle télé écran plasma de 52 pouces qu'ils installeront sûrement dans la salle familiale du sous-sol ou dans le salon du rez-de-chaussée ou dans la salle récréative du bout du corridor ou dans leur chambre à coucher, pourquoi pas, les cochons. Bref, ils auront l'embarras du choix alors que moi je me demande comment je vais coincer mes possessions dans une maison en rangée trois fois plus petite que celle dont je me départis. Du coup, j'ai retourné leurs livreurs avec leur camelote et je leur ai dit de revenir dans deux semaines.
D'ailleurs, demain, c'est la "vente de garage", moment charnière où je devrais en théorie me débarrasser de tout ce que je n'aurai pas de place à ranger à Ottawa. Je suis chanceux car mon copain il connaît bien de genre d'événements et je lui fais une confiance aveugle. Le samedi matin, il part souvent prendre une marche dans le quartier avec le chien et il passe toujours jeter un coup d'oeil dans les ventes de garages des autres. Immanquablement, l'un ramène quelque babiole et l'autre des brindilles, des vestiges d'os qu'ils rangent quelque part, et que je ramasse ensuite dans le fond d'un placard ou que je tire dans le fond de la cour au bout de mes bras.
Ce matin, tous ces cossins qu'il a ramenées (mon copain, pas le chien) au fil des ans sont à vendre, avec des centaines d'autres que j'ai accumulées depuis que mon père m'a donné ma première allocation de cinq cennes par semaine.
Il est 6 heures du matin et on a annoncé la vente entre 9h et midi. Je ne suis pas assez réveillé pour me demander ce qu'on fait debout à 6h mais suffisamment pour savoir qu'il me faut du café. Comme on a déjà écoulé notre stock, je me propose de somnambuler dans un service à l'auto pour prendre du café et des bagels.
- Surtout pas Starbucks, qu'il me dit.
- Comment ça? émet ma bouche pâteuse.
- Les gens qui font des ventes de garage boivent du Tim, c'est comme ça.
Habituellement, l'expression "c'est comme ça" met fin à nos discussions mais là trois heures avant le début de la vente, je ne comprends pas tout à fait. Jusqu'à ce que je regarde dehors pour y voir trois autos devant la maison qui attendent qu'on sorte nos cochonneries.
C'est pas des billets pour le spectacles d'Elton John qu'on met en vente, c'est de la scrap que je veux pas traîner à Ottawa.
Il y a un petit crachin fin qui tombe. À 6h du matin, ça a quelque chose de sinistre. Je réussis à me faufiler entre les autos en file d'attente sur ma petite rue pas très large pour aller chercher du café. Au retour, je songe à contacter l'escouade anti-émeute et je me résigne à me stationner un peu plus loin. Devant chez moi, c'est pris. Mon entrée de maison, je n'y pense même pas.
Quand j'arrive, les gens sont déjà entrés dans la maison. Pas le temps de rien sortir et de toute façon avec cette petite pluie fine, c'est peut-être aussi bien ainsi. C'est quand même curieux de voir autant de monde dans la maison avant même que j'ai eu le temps de me brosser les dents.
- C'est combien?
Là je suis fourré parce que je n'ai aucune idée de ce que vaut la camelote que je leur propose. Je me réfères à l'expert. Il leur sort des prix venus de nulle part et j'observe, mi-fasciné, mi-en crisss de voir partir une lampe que j'ai payée cent piasses pour un loonie.
Il me fait des gros yeux : on déménage dans trois jours pis si on la vend pas la maudite lampe, on va la mettre au bord du chemin mercredi matin.
Ouais.
Après la première demi-heure, je commence à comprendre l'astuce. Quand quelqu'un te demande un prix, tu penses qu'il va offrir ta gugusse à quelqu'un que t'aime pas. Tu penses que ce quelqu'un que t'aime pas va pas aimer le cadeau qu'il reçoit mais qu'il va être obligé de le mettre sur son manteau de foyer pour ne pas blesser la personne qui le lui offre.
- Vingt-cinq cennes!
C'est pas croyable tout ce qu'on peut vendre.

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